BLIND

4. Moïra

5 ans avant Los Angeles... 

Dans le livre que je lis actuellement, le protagoniste est très grand, blond -mais donc brun, ça ne changera pas ça-, et atrocement plat. Je m'ennuie, dans cette lecture. C'est d'un lent, d'un lourd, il ne se passe rien. 

La première scène de sexe m'a tellement barbée que je l'ai lue en diagonale. L'héroïne gémit et se tord alors qu'il ne fait pratiquement rien. Il se contente de la prendre en missionnaire et de lui dire à l'oreille qu'elle est belle. 

Aucun intérêt. 

J'ai de meilleures lectures qui m'attendent ; généralement, je n'abandonne pas un livre, par respect pour lui, mais c'est peut-être plus irrespectueux de s'endormir dessus que de le laisser de côté. 

Cela dit, quel que soit le bouquin, je n'ai pas la tête à me concentrer. Il est 19 heures. Plus que deux heures avant la partie de Poker. 
Le temps s'est extraordinairement ralenti. J'anticipe. J'ai rédigé plusieurs scénarii en plongeant mon regard dans le vide. 

Le livre encore ouvert sur ma couette, j'ai caressé mon front, vaguement, en imaginant son entrée dans le couloir... Son regard, lorsqu'il me verrait dans ma petite robe noire, les cheveux lâchés, les yeux soulignés de crayon sombre. 

Et le jeu que nous ferions ce soir... Il y aurait les autres, bien sûr, mais il n'y aurait que nous. Il pourrait posséder, déjà, les prémices du désir dans son regard bleu profond. Sous ses airs légers, il cacherait en réalité un dominant, qui souhaite me soumettre, depuis la première fois qu'il m'a vue. 

Oui, ce serait à peu près ainsi que les choses se passeraient. Je le sentirais sur le point d'éclater, observant mes poignets et rêvant déjà de les attacher aux barreaux d'un lit. 

"Blind". Même son nom sonne comme un mystère. 

Pourquoi, bon sang ? Pourquoi lui ? Est-ce qu'il y a une explication rationnelle à ce genre d'émotions ? Je ne lui ai jamais adressé la parole, mon corps ne devrait pas réagir aussi sensiblement à l'idée de le revoir. 
Ou peut-être que c'est une sorte de communication d'inconscient. Peut-être que je sens qu'il est ce dont je rêve dans mes lectures. Peut-être que je l'ai deviné sans le connaître. 

Un dominant... Oui, ça lui irait bien. Il m'interdirait de bouger, gravement, à l'oreille. Il me dirait "Laisse-moi faire et tais-toi.". Je mords ma lèvre. Je pourrais me soulager immédiatement, mais j'ai envie de sentir cette tension sourde entre mes jambes encore un peu. 

Je ne l'ai jamais eue pour une personne réelle. Je compte en profiter encore. Analyser. Décortiquer le phénomène. M'en délecter. 

Le temps sur mon écran continue de traîner, minutes, après minutes. Je vérifie plusieurs fois ma tenue, mon visage et mes cheveux. Me rallonge. Grignote. M'observe encore. 
Et enfin, 21 heures sonne sans bruit, dans mon refuge. 

Aux tintements des portes, je me précipite, sans paraître dans l'attente non plus. Mais je veux son regard vers moi dans le couloir ; je veux l'instant où il détaillera ma robe, comme je l'avais imaginé. 

Travis est le premier à sortir. Derrière ses longs cils, ses yeux noisettes pétillent dans ma direction.
Je m'en fiche Travis, écarte-toi de ces portes, laisse-le passer. 

— Damoiselle le diamaaaaaaant ! s'exclame-t-il en me toisant de haut en bas. Mais c'est qu'elle s'est faite jolie, ce soir ! 

Je le remercie tout de même d'un sourire, aussi faux soit-il, et, le coeur battant si fort que je peux sentir jusque dans mes tempes, j'attends. 
Perrera et son immense crâne chauve apparaissent dans le couloir, puis c'est au tour d'une brune quelconque... Et il arrive enfin.