11. Blind

234 56 135
                                    

On se concentre le magicien, on regarde ses cartes, et on arrête de sentir le petit lutin à sa droite. Nope. Hors de question, on a dit. 

Il est marrant, le type qu'elle embrassait quand j'ai débarqué dans la salle de bain. Avec ça, je n'ai pas pu me laver les mains. Ce n'est pas grave, même si je préfère toujours en quittant le métro, question de respect pour les cartes. Toujours est-il qu'il est marrant. 

Il sue comme un porc avant l'abattoir, il me jette des coups d'yeux en panique, il respire mal. Ah bah j'te comprends, mon fils. Si j'avais Jay comme épée de Damoclès au-dessus de la tête, moi aussi, je transpirerais un tantinet. 

Il est tendu, le bonhomme, à l'idée que je l'ouvre et que je raconte ce que mes yeux ont surpris près de cette baignoire en fonte. Je ne dirai rien. Pas pour lui, évidemment, je crois que je me serais assez délecté d'un poing dans le nez, mais pour elle. Je ne sais rien de ses rapports à l'Ecossais qui lui sert de frangin, je ne voudrais pas que ça lui retombe dessus. 

Alors je la ferme, et je plume, tranquillement, cet espèce de grand con qui se prend pour un dur quand le méchant James a le dos tourné. Ça lui apprendra. 

Et ça lui apprendra quoi ? Qu'il ne faut pas s'approcher de Moïra ? Allez, arrête l'hypocrisie, le magicien. Ça fait un an que t'as pas foutu les pieds ici, elle fait ce qu'elle veut avec qui elle veut. 

Moi-même, je ne me suis pas retenu pendant tous ces mois. La jalousie serait extrêmement déplacée. D'autant que je ne sais rien d'elle, en vérité. 
Et qu'elle a besoin de tout, sauf d'un type comme moi. J'aurais peut-être dû la laisser avec lui. Faire...Ce qu'ils avaient à faire. 

Ça ne me regarde pas, après tout. 

Travis est absent, ce soir. Peut-être encore en train de chercher sa montre, qui sait. En revanche, je rencontre une nouvelle membre de la grande famille MAC. 
Sublime, c'est le mot précis. 

De longs cheveux ignés, flamboyants autour d'un visage fin, de belles lèvres très rouges et de beaux yeux très clairs. Elle regarde James comme s'il c'était le Graal. Et elle sourit, tellement, que c'en est contagieux et que, ô miracle, le gangster sourit aussi. 

Perrera, avec son crâne chauve et son air crevé en permanence, joue comme il le peut, mais à son articulation foirée et ses gestes mous, je devine que le whisky ne l'aide pas à analyser le jeu correctement. 

Le type qui a goutté la bouche du petit lutin tremblote encore, il est à deux doigts de faire dans son froc, je crois, et enfin... à côté de moi, l'intouchable petite sœur. 
Une soirée, somme toute, doucement tendue, donc. 

Mais, que serait une bonne soirée sans un peu de danger, de non-dits et de malaises généraux, n'est-ce pas ? 

— Ça va, Joe ? s'enquière la belle rousse en se tournant vers le sale type. 

Joe. Terriblement banal comme prénom. Qu'est-ce que tu lui trouves, petit chat ? 

— Ne répondez pas, Joe, lancé-je, léger. J'ai cru remarquer que vos lèvres étaient un peu enflées, il serait dommage d'aggraver leur état. 

Personne ne comprend, évidement. Hormis Moïra qui me donne un coup de genou, sous la table. J'éclate de rire ; je ris tellement souvent qu'aucun ne se demande ce qui me prend. Parfait ! 

— Comment se passe la vie à Vegas ? 

James a posé tranquillement sa question, mais je la soupçonne de comporter plus d'enjeux qu'en apparence. 
Ce qu'il me demande, en vérité, c'est si je compte revenir dans le coin plus souvent. 

BLINDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant