Trois ans avant Los Angeles...
Mention Très bien.
Mention Très bien ! Pour la deuxième année consécutive !Je relis mes résultats, pour être bien certaine que je ne rêve pas. Mais non, c'est ça. Littérature anglaise, littérature américaine contemporaine, histoire littéraire, grammaire, stylistique... J'ai tout. J'ai tout réussi.
Moi.
Sans l'aide de James, sans précepteur, sans personne : MOI. Je voudrais pouvoir exploser de joie littéralement. Je voudrais pouvoir me répandre dans tout l'appartement, et ne laisser pour la postérité que des confettis de fierté éparpillés entre les meubles.
Mais mon bonheur ne se fait pas kamikaze, et je dois accepter de le ressentir tel qu'il existe en moi.
Une écorchure, une toute petite, pourrait peut-être m'aider à supporter le flot d'émotion ?Rien de bien méchant, juste de quoi extraire le trop plein de ressenti.
J'hésite.J'essaye vraiment de le faire moins souvent. Je crois que j'ai du m'entailler quatre fois, cette année. Rien de plus. Une petite cinquième...Pour fêter ça ?
J'y ai droit, à cette entaille. Ce n'est pas comme si j'étais malheureuse, cette fois. C'est mon cadeau à moi. Juste un peu de douleur, rien de grave, de moi à moi, comme ça, en secret.
Ah, ça me démange. Ça y est ; j'en salive, même. Je frotte l'intérieur de ma cuisse, devant l'écran où mes résultats brillent. Un tout petit peu...juste un tout petit peu...
Le tintement de l'ascenseur me fait sursauter. James est rentré. Je referme l'ordinateur d'un geste vif, comme s'il m'avait surprise en train de me taillader. Je n'avais encore rien fait de mal, c'est absurde d'avoir déjà honte.
Je dois balayer mes pensées précédentes, pour qu'il n'en lise rien sur mon visage. J'ai toujours peur qu'il devine.
Et je cours dans le couloir pour lui annoncer ma réussite.
— ...de savoir à qui j'ai affaire, c'est une question de confiance.
— Arrête tes conneries, t'es juste curieux.
— Bon, d'accord, je crèèèèève de curiosité, mais comprends-moi ! Je me retrouve à bosser pour le fantôme de l'Opéra, et bien que la situation possède une touche romanesque qui me fait vibrer sans pareil, je brûle de savoir qui se trouve derrière le masque. Logique, n'est-il pas ?
Je m'arrête à mi-chemin ; mes pieds nus, sur la moquette douce, refusent d'avancer davantage.
Pourquoi est-ce qu'il arrive toujours quand je m'apprête à faire une bêtise ? Pourquoi ?La salle de bain, l'autre salle de bain, et maintenant, ma joie d'avoir réussi. Est-ce qu'il a une sorte d'antenne inconsciente reliée à moi qui le fait débarquer quand je veux m'offrir un peu de souffrance ?
Enfin, non. Ce n'est que la troisième fois que ça arrive. Je l'ai revu, ces derniers mois. Il est passé 5 fois exactement. Cinq.
Et il m'a si délicatement ignorée que, ça y est, je suis fixée : il ne veut définitivement pas de moi. Quoi qu'il ait raconté dans cette salle de bain. Il dit tant de conneries en permanence que je dois me fier aux actes plutôt qu'aux mots. Et les actes sont clairs.De toute façon, il est trop vieux pour s'intéresser à quoi que ce soit me concernant. Il a donné son âge lors d'une partie, durant laquelle je n'existais visiblement pas : 30 ans.
Il a huit ans de plus. Je ne suis que la petite sœur, pour un type comme lui.J'ai noté l'information dans un coin de ma tête ; celui qui lui est réservé. C'est un courant d'air, cet homme là. Dès que je peux en apprendre un peu sur lui, je le fais, et conserve précieusement le nouvel indice concernant sa vie dans le dossier imaginaire que j'ai confectionné.
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BLIND
RomanceMoïra a été élevée à la Dark Romance. L'amour et les hommes, elle ne les connaît qu'au travers de ses lectures sombres, toujours profondes et souvent teintées d'amoralité. Elles sont son unique refuge pour échapper à la réalité et à la surprotection...