9. Moïra /Blind

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Merde. 
Merde, non, pas ça, non ! 

Il m'a vue. 

Non, je vous en supplie, je veux retourner dans le temps. Non, pas ça. Ses yeux, ils se sont arrêtés. Ils ont fixé la lame. 

Putain, Moïra... T'as tout gâché. Tout. 

L'expression qu'il avait... Elle est gravée maintenant. A jamais. 

Non, pas ça... Pas la réalité crue avec ses couleurs merdiques. Pas l'absence de pastelle, de parfum, de volupté. Pas cette merde de réalité, dans ses yeux, à présent, et pour toujours. 

Putain, pourquoi j'ai fait ça ? Pourquoi à ce moment là...? 

*

Blind 

Trois heures plus tôt

C'est, je crois l'avoir compris, pour me remonter le moral que James a fait venir la brune, celle assise à ma gauche, qui me dévisage comme si j'étais une glace à la vanille sans matière grasse. Alors. Oui, mais non. 

Déjà, la mort de ma mère ne me donne pas plus envie de copuler que ça. Et ensuite, brune ou pas, ce n'est pas du tout mon genre. 

Et je peux m'attarder sur ces deux points, d'ailleurs. Je sais que, souvent, dans les deuils, le réflexe voudrait qu'on s'accroche à tout ce qui évoque au mieux la vie : baise et bouffe sont les premiers refuges, il parait que c'est normal. Mais je préfère vivre la perte de ma mère avec mes propres armes, à savoir : du second degré, des cartes, et beaucoup de Rhum. 

Concernant la brune, Estelle, de son p'tit nom, je sais, là aussi, qu'elle correspond assez aux critères esthétiques qui feraient bander n'importe quel mec. Grande, poitrine généreuse mais taille fine, cheveux brillants, longs, lèvres charnues, yeux farés de noirs, jupe courte et talons hauts. 

Je connais assez peu Jay, mais de ce que je sais de lui, je suis certain qu'il ne s'agit pas d'une racoleuse. Il a une aversion pour le commerce humain. Il a simplement trouvé une femme "parfaite", parfaitement aguichée et aguicheuse, pour me "changer les idées". 

Ouais, mais il est là le problème : je n'ai pas envie de me changer les idées. Je suis triste, je dois le traverser. C'est le premier point ; on ne combat pas la violence d'avoir perdu sa mère sans avoir été foutu de la rejoindre avant l'heure noire en baisant avec une inconnue. Et si c'était le cas, si baiser pouvait me faire du bien tout de suite, ce n'est clairement pas avec elle que je le ferais. 

Trop. Elle en fait beaucoup trop. Elle rit trop fort, bouge trop ses cheveux, me fixe trop longtemps. 

Et puis, mon attention, ce soir, ne lui revient pas. Il n'y aurait pas eu Moïra, ça n'aurait rien changé, ce n'est pas le genre de femme qui me fait de l'effet. Mais, en plus, effectivement, il faut rajouter le paramètre du petit lutin. 

Pas de concurrence possible à ce stade. 

Putain, pourquoi j'ai accepté de venir ? Tout ce que je voulais, en vérité, c'était pleurer un bon coup dans ma piaule de circonstance, et me noyer dans deux trois verres. Et là, je suis entouré de quatre gangsters, une allumeuse qui...sérieusement ? C'est quoi ce qu'elle fait là ? Elle lèche ses doigts ? Okay, donc une allumeuse qui se nettoie les phalanges et... Et elle. Là. La petite sœur aux yeux immenses. 

Je suis pathétique à pleurer ma mère de l'intérieur quand on sait que ces yeux, ceux qui sont trop grands pour ne pas venir d'un dessin animé, ceux qui ont de longs cils virevoltants dès qu'elle les relève, ces yeux ont vu ce qu'ils ont vu. 

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