De l'autre côté

6

Tout le monde était dans cette arrière cour, remarqua Jaïa, toujours traînée par Becky. Elle ne s'était pourtant pas aperçue que plus de la moitié des gens avaient laissé l'enceinte du musée, tant elle était enfouie dans sa contemplation. Leur groupe était un peu plus loin des autres, bien installé au fond de la cour.
-Te revoilà enfin Jaïa. Mary lui lâcha.
-Salut. Jaïa fit juste pour paraître polie. Tu m'as laissée toute seule donc, j'ai fait ce que j'étais venue faire. À savoir, visiter. 
-Kai était là, tu n'étais pas toute seule.
Jaïa lui lança un regard interrogateur, puis s'assit à l'unique place libre restante.
Ils étaient huit à table, dont un visage inconnu; Jaïa constata.  Il avait quelques ecchymoses sur une partie du visage et un œil tout rouge. S'était-il peut-être battu.
La table était remplie de truc à grignoter et elle était la seule à ne pas avoir la bouche occupée. Son portable vibra, une notification Instagram, quelqu'un avait commencé à la suivre. La page s'ouvrit à l'écran lorsqu'elle tapa sur la fenêtre de notification. Elle l'avait oublié celui là, Cisco, ce n'était pas urgent. Une autre notification s'afficha, un message direct maintenant, toujours de Cisco.
-Pose ce téléphone Jaïa. La gronda Mary. Tu es entrain de gâcher le moment. Tiens.
Elle lui tendit une canette de coca.
-Je ne peux pas croire que tu t'es battue pour elle. Entendit-elle Aaron dire au garçon qui avait le visage égratigné.
-Je n'arrive pas à y croire moi aussi. Kai dit à son tour.
Quelle conversation !
-Et toi tu peux y croire toi Kyle?
-Non.
-Tu vois, continuait Aaron, je ne suis pas le seul. Si ta meuf a voulu se taper un asiat c'est son problème.
-Son problème. Répéta Kyle.
-Et moi je t'avais bien dit de ne rien faire. Si? Tu n'avais aucune chance contre un chinois mon pote, un chinois, tu m'entends? il a sans doute fait du kung-fu toute sa vie.
-C'est pas un peu raciste ce que tu dis? Mary lui demanda. Je veux dire, tous les chinois ne savent pas se battre.
-Je rêve ou tu me parles de racisme? Aaron lança à Mary. Je suis noir je te signale, j'ai le droit d'être raciste. Toi et toute ta clique de blancs en revanche, vous ne pouvez en parler. Dois-je te rappeler qu'il n'y a même pas un siècle, les noirs devaient être assis séparés de vous les blancs?
-Je me rends. Se défendit Mary.
-Et c'est parce que je ne suis pas rancunier. Il continua malgré. Sinon je ne devrais même pas vous adresser la parole. Il dit en pointant Greg,Becky, Kyle, Mary et Pete du doigt.
-Je me rends. Répéta Mary.
-Bandes de fantômes. Les désigna t-il.
-Je ne sais pas quoi dire. Greg dit en portant son verre à la bouche. Je vais me taire.
-Ne dis rien c'est ça c'est bien. Aaron ajouta. Vous voyez, j'ai failli perdre deux de mes meilleurs amis en quarante huit heures, mon cerveau ne peut pas digérer ça.
-Ça va aller mec. Le rassura Kyle. On est tous là.
-Non mais imaginez un peu. Et si Kai avait été de l'autre côté de la route et avait dévalé la falaise? Toi Pete et si ce fils de pute de chinois t'avais brisé le cou? Je sais, j'imagine le pire mais ça aurait pu arriver.
-Rien de tous ça n'est arrivé. Becky parla. C'est bien mieux.
-Le pire c'est que je t'avais dit de ne pas faire de conneries. Il continua malgré, en s'adressant à Pete. En plus toi tu n'as vu que des textos.  Moi j'avais vu ma copine avec mes propres yeux et je n'ai rien fait du tout. Pas que je n'avais pas envie de casser la gueule de ce connard, loin de là, mais j'avais écouté ma tête et non mon cœur. Tu aurais dû faire ça. Tu as connu cette histoire mec, toi même m'as dit de ne pas faire de conneries et je t'ai écouté. Rien n'a changé. Il dit en s'adossant contre le siège. Sauf que maintenant je suis heterophobe.
-Est-ce ta manière à toi de nous dire que tu es gay maintenant? Demanda Mary en appuyant sa tête sur son petit-ami.
-J'ai peur des heteros maintenant. Il rectifia. J'ai toujours été entouré d'homosexuels dans ma vie et ils ne m'ont rien fait jusqu'à présent. Mais les autres là, ne cessent de me broyer le cœur. J'arrête tout.
-Je ne crois pas un mot. Rigola Kai. D'ici la fin de la semaine je te verrai déjà amoureux d'une autre fille.
-Mel avait demandé de tes nouvelles hier. Fit Peter qui jusque-là avait écouté les reproches de ses amis sans rien dire.
-Elle était à la fête? Demanda Aaron.
-Elle était là. Peter confirma. Je crois que tu devrais l'appeler un de ces jours. Elle s'inquiétait.
-On n'est plus ensemble. Lâcha sèchement Kai. Pourquoi je l'appelerais?
-N'empêche quelle s'inquiète pour toi.
-Je ne vois pas ce que j'aurais à lui dire.
-Le nécessaire.
-Si j'étais toi, je ne prendrais pas autant sa défense. Kai lui dit simplement. Elle est la meilleure amie de ta copine, elle était sûrement au courant qu'elle te trompait.
-Kai a raison. Kyle ajouta. Elle savait certainement. On s'en fou d'elle.
Peter releva la tête. Ses yeux se posèrent sur Jaïa qui était en face de lui. Il se rendit compte soudainement qu'il avait oublié de demander de qui il s'agissait. Remédiant à cela, Aaron lui annonça à l'oreille que c'était la nouvelle colocataire de Kai et également une amie de Mary. «En résumé, la fille d'hier». Aaron dit.  Il avait ensuite répondu vaguement, comme s'il avait perdu ses sens. Il continuait de manger néanmoins, avec une lenteur pitoyable. Ses amis le héla pour qu'il sorte de ses pensées, il était enfoui, plongé dans ses esprits. Il releva encore la tête pour fixer le vide, ses yeux croisèrent encore ceux de Jaïa, elle le scrutait elle aussi. Gêné il rebaissa les yeux vers son assiette. Pourquoi tout le monde semblait lui vouer une interminable pitié? Il n'avait donc pas le droit d'avoir été amoureux de la mauvaise personne? Ah l'amour! Que ne ferait pas quelqu'un tombé sous son emprise? Que ne ferait pas un homme cédant à ses vices? C'était révoltant, autant aimer avec sa tête qu'avec son cœur. Mais la tête, aimer quelqu'un comme cela, c'était pire que d'aimer pleinement du cœur. C'était plus obsessionnel, plus viscéral, plus meurtrier, l'esprit se trouve pris dans son propre piège. Un jeu dangereux, pouvant amener à la perte de celui qui ose s'aventurer trop près. Oui, c'était cela l'amour, un jeu dangereux, et Peter avait osé s'aventurer en se laissant aller complètement, corps et âme...