EVA

CHAPITRE 22 : ÉMERAUDE

ＡＡＲＯＮ

Je me réveillais en sueur. Le sol crasseux avait râpé mon costard, et voilà que je croupissais dans une merde effroyable.

Mes cheveux courts et ma barbe naissante me démangent, je suis sûre qu'il y a des putains de bestioles ici.

Les jambes lourdes, je laisse mes yeux vagabonder dans ma cellule. Un rayon de lumière traverse une fenêtre microscopique. Mon cerveau tilt.
Je me redresse sur mes pieds

C'est là que je la vois.

Et que c'est beau.

Que c'est brûlant.

Lorsque ses yeux verts se posent sur moi. Mon cœur loupe un battement.

Qu'est ce que tu m'as fait ...

Eva ?

♛♛♛

Jouer au troubadour devant le roi, c'était sans doute la pire erreur de toute mon existence. Hier soir. J'ai tellement joué. J'ai tellement voulu voir ses limites. Que j'ai fini par me faire démasquer. J'ai toujours pensé que vouloir trop en faire pour obtenir ce que l'on veut nuit au principal. Je n'aurais jamais dû faire cette erreur de débutant... Après avoir enchaîné les verres avec Demetrio (il se doutait de mon identité c'est sûr), j'ai tout déballé. Comme un abruti fini à la pisse. Et ce soir. Je suis défoncé, on m'a traîné ici. Qu'est ce que j'ai l'air pitoyable depuis ce gala. Je me fais avoir comme un gamin. Et maintenant je finis dans cette cave.

À cause de mes actes, j'ai fini tout droit dans la même cellule qu'elle.

Mes yeux ne la lâchent pas. Car yeux disent. Yeux parlent. Sans rien lâcher, sans même cligner, je sais qu'elle aimerait me parler. Qu'elle est là depuis longtemps. Qu'elle ne sait pas ce qu'elle va devenir. Qu'elle a tellement joué avec le feu depuis ses dix neuf ans qu'elle ne sait plus où donner de la tête. Je veux entendre ses pleurs. Son désespoir. Je crois que je suis tellement curieux et fasciné de sa présence que je ne respire presque pas. C'est délirant. Je suis dans une apnée de stupéfaction. Mes yeux voyagent sur son visage aminci, ses traits tirés, ses grands yeux verts. L'éclat de la lune lui donne cet aspect de déesse. Comme cette nuit là.

Et je suis estomaqué. Parce qu'elle ne me demande même pas ce que je fous là. Elle est d'un calme affolant. Je crois qu'elle n'a plus la force de bouger, parler. Ses lèvres sèches me sourient maintenant. Et c'est beau. Je la revois, comme ce premier jour. Son sourire. Cette aura lumineuse qui se dégageait d'elle. Elle était lisible, transparente, il émanait d'elle des poussières d'étoiles. Elle était à couper le souffle. Inaccessible. Brillante.

Aujourd'hui. Il se dégage d'elle une obscurité deux fois plus séduisante. Elle a cet air de louve, de femme fatale, mais de femme désespérée, qui soutient toutes mes pensées lorsqu'elle m'avait quitté, dans cette boîte de nuit. Et je crois. Oui. Que je l'aimais. Cette pensée me vient lorsque je la vois se tourner vers moi. Encore plus. C'est fulgurant comme elle est fascinante.

Je savais très bien, lorsque l'on me confia cette mission, que j'allais devoir la revoir. Je l'imaginais dans un état plus pitoyable que ça. Mais en ce moment, elle est juste perdue. Ses yeux se fondent dans le ciel.

— Eva.

Je l'appelle. Car yeux disent, mais pas tout.

Elle me regarde maintenant. Et je vois deux petites larmes germer dans ses grands yeux verts. Elle s'est tournée vers moi maladroitement. Je crois qu'elle est horriblement fatiguée. Et que ma présence n'arrange pas son état. Mais ces larmes ne couleront jamais.