Le lendemain, je me réveille et aucune respiration ne se fait entendre. Je tapote l'autre côté du lit et je ne sens plus personne. JD a dû partir tôt dans la matinée. Peut-être est-il parti directement après que je me suis endormie ?
C'est le deal. C'est habituel.
Alors pourquoi est-ce que je suis énervée ?
Je dois perdre les pédales. C'est l'enfermement, ça ne fait aucun doute. Je ne travaille plus depuis huit mois, je tourne en rond tous les jours attendant patiemment que Lila termine sa journée de travail ou son week-end amoureux.
Rien n'est grave, Justine, rien n'est grave.
Je me lève et prends mon petit-déjeuner. Mais l'interphone sonne et je tremble comme une feuille morte en me réalisant un film à la Woody Allen où JD revient avec des croissants et des pains au chocolat.
- Oui ? dis-je la voix faible.
- C'est moi, chouquette !
Fais chier.
J'entrebâille la porte et retourne m'asseoir sur le tabouret devant mon bar, les yeux vitreux fixés dans le vide, du moins je l'espère.
Pour être franche, depuis que j'aie perdu la vue, la seule question que je me pose et que je n'ose poser qu'à ma mère c'est « Est-ce que mes yeux tournent tout seul ? » Vous voyez ce que je veux dire ? C'est vrai quand on voit, on sait qu'on fixe un point en particulier. Notre attention est happée sur quelque chose ce qui oblige nos yeux à être dociles. Mais comme je ne sais jamais ce que je regarde, je me demande si mes yeux sont livrés à eux-mêmes et se croient dans une école de cirque.
- Salut ma chouquette ! me lance Lila.
Soudain ma gorge me serre. J'étouffe et mes yeux se bordent de larmes. Je sais que je suis sur le point de pleurer.
- Ma chouquette, non ! Que se passe-t-il ? s'enquit-elle en me prenant dans ses bras.
Je ne suis pas une adepte des câlins. Je suis plus partisante de « Chacun doit respecter l'espace vital de l'autre », mais avec Lila c'est différent.
Je veux lui dire que ça me manque de ne plus voir sa peau brune et lisse. Que je vendrais mon âme pour revoir un jour son sourire. J'aimerais pouvoir me moquer de son énième tatouage que je n'aie jamais pu voir.
- Je dois attendre mes règles, finis-je par répondre.
En soi, ce n'est pas totalement faux. Depuis toujours je suis victime de mes montées et descentes hormonales. J'ai toujours réussi à savoir quand j'allais avoir les Anglais qui débarquent quand je pouvais pleurer devant une pub pour des croquettes pour chien.
Sacre bleu, si Carla était dans ma tête je lui donnerais raison avec mes expressions de paysans.
Elle finit son câlin et m'embrasse sur la joue avant de piquer une gorgée de mon jus d'orange.
- Je ne vois pas mais j'entends, Lila. Tu sais que je n'aime pas quand tu fais ça.
- Et moi je n'aime pas quand tu prends cet air grave pour du jus d'orange.
Je capitule.
Elle a raison. Elle a le droit de boire dans tous les verres qui lui font envi.
- Il y a autre chose...
Je ne réponds pas et lui donne raison.
- Tu m'as téléphoné hier soir, avec une excuse bidon sur du sport ou quelque chose de tout aussi farfelu.
- Non, il n'y a rien, je t'assure, dis-je en me relevant pour essayer d'esquiver la conversation.
Elle me suit jusque dans la chambre.
- Mais c'est quoi ça ? s'énerve-t-elle.
Je sors la tête de ma penderie et lui demande pourquoi elle s'agace.
-JD est venu hier soir ?
- Oui, pourquoi ça te met dans un état comme ça ?
J'entends un bruit de plastique.
Je pense que si je pouvais voir, j'aurais vu Lila, des flammes dans les yeux, un sachet de préservatif à la main, le tenant du bout des doigts.
- Il n'a même pas pris la peine de le jeter à la poubelle.
Mon cœur se pince. Ça commence à être vraiment déplaisant comme sensation. Elle revient de plus en plus souvent.
- Ce n'est rien, on va le jeter.
« Ce n'est rien, on va le jeter » ! Mais je me transforme en Télétubbies, ce n'est pas possible !
- Non, Ju, ce n'est pas rien. C'est ce qu'on appelle du respect.
A cran, je lui arrache le sachet des mains, du moins j'essaie à plusieurs reprises, et pars en trombe jusque dans la salle de bain pour le mettre à la poubelle.
A l'entendre ronchonner juste à côté de moi, je devine qu'elle s'est baissée pour ramasser le sachet que j'ai dû laisser tomber à côté.
Elle continue de bougonner tout en faisant défiler les ceintres de ma penderie en imaginant surement la tête de cet enfoiré qu'elle cognerait contre un mur.
Je sens qu'elle jette la tenue qu'elle m'a choisi sur le lit et se dirige vers la salle de bain et m'allume l'eau.
Elle s'arrête un instant.
- Je me retourne, dit-elle pour que je me déshabille avec le peu d'intimité qu'elle m'octroie.
Puis elle continue son débat sur les hommes de notre génération et du manque de savoir-vivre dont ils font preuve. Alors que je me frotte le visage et essaie de me défaire de cette déception qui m'assaille, elle part sur son père, puis le mien qui avaient une certaine éducation et un amour vénéré pour les femmes qui étaient, pour elle, aujourd'hui laissées pour contre.
Elle a raison.
Il aurait pu ai moins jeter son sac à ist.
Mais j'en profite d'être sous la douche pour me ressaisir et reprendre du poil de la bête.
Je sors, attrape ma serviette et me sèche avant de passer à côté d'elle et de lui faire un bisou pour l'inciter à la calmer.
- On va pique-niquer ? lancé-je en mettant mes lunettes de soleil.
- Bonne idée !
Nous voilà, quinze bonnes minutes plus tard, sur une pelouse bien verte et bien piquante, sur une couverture, je ne sais trop celle qu'elle a choisie, allongées, face au soleil.
L'avantage, c'est que le noir environnant qui me suit partout me permet de retirer mes lunettes pour bronzer sur l'intégralité de mon visage sans que le soleil ne m'aveugle même les yeux fermés.
- C'est quand même dingue d'être aussi irrespectueux !
C'est reparti.
Je me répète, j'aime Lila plus que tout, mais elle a un sérieux problème avec la gestion de ses émotions. Ça peut être fatigant parfois.
Mais c'est mignon.
- On ne travaille pas à ce que je voie.
Cette voix. Je la reconnais. Elle m'hérisse le poil.
Je me redresse et remets mes lunettes.
- On est dimanche, trouduc, lance Lila sans que je ne puisse l'attaquer la première.
Je le sens qu'il s'assied à côté de moi.
- Il y a beaucoup de gens qui travaillent le dimanche, continue le squatteur de conversation.
- Tu as mis un traceur sur notre voiture, Pierrot ? lancé-je.
J'entends son rire narquois et mes nerfs se tendent.
- Julien Blanqui.
Un ange passe avant qu'il ne reprenne :
- Je suis en train de te tendre une main de salutation.
J'entends Lila qui lui donne une tape assez virulente sur l'épaule.
Je souris et le snobe. Premièrement parce que je n'ai pas envie de me ridiculiser à chercher où se trouve sa main et deuxièmement parce qu'il m'insupporte.
- Je vois, continue-t-il.
- Eh bien moi non, mais je sens d'ici ta banalité et ton manque de charisme, alors tu peux te remettre debout sur tes petites jambes fluettes et reprendre ton chemin.
Il se relève, je l'entends au bruit de son pantalon.
- Très bien, Justine O., je n'insiste pas.
Comment il connait mon prénom ? C'est impossible que l'on se soit déjà présenté si ce que Lila dit est vrai, jamais je ne me serai intéressée ne serait-ce qu'à connaitre le nom d'un « Pierre Niney ».
- Tu me follow sur Insta ? reprends-je, confiante.
- J'ai vu ton profil sur Tinder, un profil très accrocheur soit dit en passant.
Je ris comprenant que j'avais dû swiper ou laisser un de ses messages en « vu ».
- Je comprends mieux. Il est inactif, je suis navrée.
- Je ne suis pas intéressé par les rambardes d'escalier, je l'ai vu lorsque je faisais défiler ces nombreuses âmes en peine qui cherchent un partenaire éphémère.
- Une rambarde d'escaliers ?
- Oui, un nid à microbes. Bon, bonne journée à vous les filles, certaines personnes doivent travailler pour subvenir aux besoins des autres. Ciao !
Non mais c'est une blague ?
Mes dents se serrent et je sens le petit muscle de ma mâchoire sautillé comme s'il était prêt à bondir sur lui.
- Mais il ne va pas bien, lâche Lila, déconcertée.
On parvient à finir notre pique-nique dans le calme, gardant chacune notre rancœur pour soi.
Je connais Lila mieux que quiconque, mieux que Carla, à son grand désespoir, et je sais qu'elle rumine toujours au sujet des indélicatesses de JD. Quant à moi, je laisse mon esprit ruminé sur les attaques narquoises et déplacées de ce Julien Blanqui qui sous-entend que je me laisse vivre et que je suis une putain de rampe d'escalier.
Je repousse la pose de vernis au lendemain et salue Lila prétextant que le soleil m'a fatigué.
Je rentre chez moi et redémarre mes podcasts préférés.
« Le principe, au fond, ce n'est pas de savoir ce que vous pouvez faire, mais de savoir ce que vous voulez faire. La frontière entre le possible et l'impossible n'est érigée que par nous-même. Si vous souhaitez être heureux, cela ne dépendra que de vous. Ne vous complaisez pas dans votre inconfort. Sortez des sentiers battus. Osez. Laissez la gêne et la honte pour les moins courageux. »
Bien dit Jacqueline !
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DANS LE NOIR
RomanceJustine est prétentieuse, insupportable et aveugle. Et ce n'est pas incompatible. Qui a dit que le fait de ne rien voir sous entendait forcément de se laisser marcher dessus ? Elle mène à bien tout son petit monde et n'a de respect que pour deux per...