Après l'épisode du téléphone, lorsque je suis ressortie des toilettes, Julien m'a dit qu'il était l'heure de rentrer. Dans la voiture il n'a décroché aucun mot et j'en ai fait autant, excédée par sa réaction puérile.
Le dimanche est passé à vitesse grand V et ce matin, mes yeux ont du mal à s'ouvrir.
Mais la France a besoin de moi, du moins les auditeurs des « moments gênants ».
Lila est passée me voir hier, et m'a fait un topo sur tout ce qui se disait sur les réseaux à propos de la radio et de notre émission. Il semblerait que « la mégère » plaise beaucoup, du moins les gens se plaisent à la tailler en miette. Mais comme dit ma chère et tendre, une mauvaise pub c'est de la pub.
J'arrive en haut des marches et je m'étonne de ne pas entendre Pierrot qui hurle mon nom dans tout Paris. J'attends quelques minutes, me disant qu'il est certainement en retard mais personne à l'horizon.
Tant pis. Je peux me débrouiller maintenant. Je me déhanche donc sous le soleil matinal, je le sais parce qu'Alexa m'a indiqué la météo ce matin, et me dirige vers les locaux.
Les gens commencent à me saluer dans les couloirs mais ne semblent toujours pas avoir retenu mon nom. Je n'ai le droit qu'à « Salut la mégère », « Ça va la mégère ? ». Au moins c'est que l'émission cartonne bien. Julien avait raison, une fois encore, le monde aime les personnes antipathiques et désagréables. Je suis le Saint Graal des poufiasses prétentieuses.
Je pousse la porte de nos bureaux.
- Salut les fiottes, salué-je en posant mon sac sur la grande table. J'entends Artémis qui glousse comme une dinde.
- Mmm, Justine, je te présente Christophe. Notre Directeur.
« Christophe » ? « Notre directeur » ?
Christophe Maé ?
La honte grimpe de mes orteils jusque sur mes joues. Je suis arrivée telle une « Tûche » alors que le grand patron, et pas n'importe lequel, Christophe Maé, est assis à notre table pour parler travail.
C'est dans une situation comme celle-là que je suis heureuse de ne rien voir.
Je garde la face et offre mon plus beau sourire en tirant la chaise vers moi pour m'asseoir.
- Bonjour.
Notre directeur à l'air amusé par ma petite entrée fracassante. Je comprends pourquoi Pierrot ne m'a pas attendu ce matin en haut des marches du métro.
Christophe nous fait part de ses retours sur l'émission et fait un petit point sur les audiences de la semaine depuis mon arrivée. Il félicite Julien d'avoir su trouver ce qui manquait aux auditeurs jusqu'à maintenant. « Une personne à détester ».
What ?
C'est moi la personne que tout le monde déteste ?
Je fais la surprise mais Lila m'a fait le topo hier. Je ne l'avais juste pas prise au sérieux. Puis j'étais bien trop occupée à faire des hypothèses sur le message de JD.
Oui, ce simple message de « Porte carte » a réussi à alimenter une conversation de plus d'une heure et demie sur les potentiels aspects cachés de cette demande. J'ai d'abord pensé à un prétexte. Lila a tenté de son côté de me convaincre que ça n'en n'était pas un. Ce sur quoi j'ai rebondi en lui expliquant qu'elle avait surement raison et qu'il était tellement sous le coup de l'émotion, lors de sa dernière visite nocturne, qu'il n'a pas fait attention à ses affaires et devait être bien trop sous ocytocine pour se rappeler ce qu'il en avait fait. Ce sur quoi, Lila, une fois encore, a tenté d'argumenter pour démentir cette deuxième hypothèse en déployant une défense ridicule sur le fait qu'il devait être saoul, comme à chaque fois, et l'avait surement perdu autre part que chez moi. Tout ça pour vous dire que je ne la comprends pas. Il y a quelques semaines elle me flagellait de n'être qu'une aire d'autoroute où les conducteurs s'arrêtent « histoire de se revigorer » et aujourd'hui je lui montre, sans artifices, qu'elle a raison depuis le début et qu'une idylle incroyable est en train de naitre entre lui et moi.
C'est à croire qu'elle ne veut pas que je tombe amoureuse.
Mais il faut se reconcentrer sur Christophe. Même si je ne suis pas une très grande fan de ses chansons, je suis quand même contente que mon patron ait plus de 192 k followers. Bon on est loin du score de Selena Gomez mais ce n'est pas rien, avouons-le.
J'écoute avec attention tout ce qu'il a à nous dire. Julien parle comme un féroce homme d'affaire qui connait plutôt bien son sujet. Pour me répéter encore une fois, si Lila ne m'avait pas dit qu'il avait des airs de Pierre Niney, au timbre de sa voix, à sa façon de parler et à l'assurance qu'il dégage je vous jure que je l'aurais imaginé comme Paul Walker. Mais le mystère est brisé. Je ne peux décrocher le visage de Pierrot sur Julien à chaque fois qu'il ouvre la bouche.
Notre directeur a fini sa petite visite et nous salue gentiment afin que l'on se remette au travail. Mais c'est que les garçons ont été pas mal bavard et l'heure de la pause cigarette pointe déjà le bout de son nez.
Artémis et Claquos me propose de les accompagner dans la cour mais Julien les congédie en prétextant « verrouiller deux trois trucs avec moi ».
Je fronce les sourcils qui sont cachées par mes Gucci bien trop épaisses et attends impatiemment qu'il s'entretienne avec moi. Il n'a pas intérêt à me refaire le coup du « Je suis ton patron, tu n'avais pas à me parler comme ça, hier. » Hier était dimanche et le dimanche, personne n'a de patron ! Enfin, pas moi.
Il ne dit toujours rien et je l'entends qu'il fouille dans son attache case.
Un bruit résonne contre la table.
- Tiens Montagnié, dit-il tout penau.
Je tâte la grande table avec mes mains et ne parviens pas à mettre la main sur l'objet en question. Il le fait glisser jusqu'à moi.
- Qu'est-ce que c'est ? dis-je en ne parvenant pas à l'identifier.
- Une coque de téléphone portable en bandoulière. Je me suis dit que ça pouvait te servir et surtout t'éviter que tu puisses l'oublier quelque part sans jamais le retrouver.
Un sourire s'affiche sur mon visage sans que je ne puisse le dissimuler. Je trouve que l'attention est bonne et le cadeau très utile. Mais derrière ça, il s'excuse. Il s'excuse d'avoir été trop indiscret. Il s'excuse de s'être mis dans une colère noire alors qu'elle n'avait pas lieu d'être. Mais je suis une mégère et ce rôle me colle à la peau depuis bien des années maintenant. Il est hors de question que je lui montre que son attention me touche et encore moins que je lui pardonne.
- Top, merci, me contenté-je de répondre.
Les garçons remontent très vite et la journée reprend son cours normal.
Je rentre chez moi toute transpirante, mes aisselles accablées par la chaleur du RER et de la canicule qui se fait sentir. Je me dépêche de mettre mon téléphone dans ma nouvelle coque parce qu'il faut l'avouer, c'est très pratique. Je vais pouvoir me balader partout dans la maison et garder Siri sous le coude au cas où JD me renverrait un message.
Je sais, ça me fait le même effet, ne vous méprenez pas.
Je me trouve ridicule. Ce n'est pas moi.
Tout a vraiment basculé ce fameux jour d'Octobre. Je me suis sentie partir. Une douleur insoutenable dans la tête. Puis le noir. J'avais perdu connaissance. Lorsque je me suis réveillée, j'ai été prise de panique. J'avais comme cette impression d'être enfermée dans une boite. Que quelqu'un avait cru que j'étais morte et m'avais enterrée vivante. Pour moi, mes yeux étaient ouverts et rien ne se laissait voir. C'est lorsque j'ai entendu la voix de Lila et celle de ma mère qui appelaient les médecins que j'ai compris que je ne me trouvais pas dans un cimetière à six pieds sous terre. J'étais dans une chambre à l'hôpital dans le noir le plus complet.
Mon monde s'est écroulé à ce moment précis.
Je me suis murée dans le silence des semaines et des semaines. J'ignorais comment j'allais m'en sortir.
Je ne savais pas ce que cette femme fière et indépendante allait devenir privée de sa vue.
Mais c'est du passé.
Aujourd'hui ma vie est en train de changer comme vous pouvez le voir. Je reprends du poil de la bête et les bonnes vieilles habitudes ont la vie dure. Chassez le naturel et il revient au galop. Je sais qui je suis. Je ne me voile pas la face. Je sais aussi pourquoi je suis comme ça. La vraie Justine Oppeneau était douce, aimante et pleine de vie. Mais mon secret doit être bien gardé. Ce passé qui a fait de moi la femme que je suis et que j'étais avant de perdre la vue. Lila le sait, elle ne le mentionne jamais.
Je suis une antipathique, asociale et anarchiste et j'ai mes propres raisons.
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DANS LE NOIR
RomanceJustine est prétentieuse, insupportable et aveugle. Et ce n'est pas incompatible. Qui a dit que le fait de ne rien voir sous entendait forcément de se laisser marcher dessus ? Elle mène à bien tout son petit monde et n'a de respect que pour deux per...