8. UNE NOUVELLE VIE

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Le week-end se passe sans encombre. De la manière la plus plate qui puisse exister. Mais une chose dont je suis fière, c'est que je n'ai pas appelé Lila une seule fois. Au contraire, je lui ai envoyé juste un vocal, samedi après-midi, feintant un déjeuner avec ma mère dimanche midi, pour lui laisser quartier libre avec Lucifer.
A savoir que ma mère est en voyage avec son nouveau cher et tendre qui l'a emmené en camping-car pour faire les côtes de la France. Nous sommes au mois de juin, elle est à la retraite et il fait beau. Elle a raison de profiter. Ce que j'ai fait s'appelle une bonne action.
Je passe donc mon samedi, comme d'habitude, en mode dépravée sur le canapé et je réitère exactement la même chose le dimanche. Pour être franche avec vous, j'ai toujours le même Bun que j'avais vendredi soir.
Vous imaginez le tableau, un jogging dégueulasse, les cheveux dans tous les sens et mes yeux vitreux. Je suis une femme prête à marier.
Je décide d'arrêter mes podcasts et je lance la playlist de l'entrainement. « Alexa, mets la playlist – Superstar », « Humm, je ne comprends pas ». Cette boule me déprime. Je recommence ma demande et elle finit par plier à mes ordres et me jouer « Single Ladies » de la déesse des déesses, Beyoncé.
Je suis debout, certainement à quelques centimètres à peine de ma table basse mais je prends des risques et me lance telle une aventurière. Depuis que mes yeux ne voient absolument plus rien, j'ignore si les volets roulants de mon balcon sont ouverts mais m'en contre fous malgré le fait que je sache que le vis-à-vis est important.

Je tape du pied parterre et me laisse mouver au rythme de la musique. Je respire comme il faut et me mets à chanter à tue-tête.
Je continue sur Madonna, « Like a prayer », c'est au tour ensuite de l'instrumentale « Don't Worry » de Bob Marley que je reprends à ma façon. Mon corps vibre en m'imaginant devant une salle remplie où les gens tiennent leur téléphone et bouge au gré de ma mélodie avec leur lampe torche.
C'est un spectacle que je ne verrai jamais, bien que jacqueline Démetrieu dise le contraire. Pour le coup, là je n'ai pas vraiment de possibilités qui s'offrent à moi. Même si un jour, la chance de me faire connaitre me sourit. Même si j'arrive à me retrouver devant des milliers de personnes, sur une scène, au grand air, une guitare à la main, je ne verrai jamais ces putains de lampes torches.
Ma voix déraille par ma gorge qui se noue. Je m'énerve sur Alexa et lui ordonne d'arrêter la musique. Mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort car mon téléphone sonne.

« -Allo ?
- Montagnié ?
- Pierre Niney ? »

Comment cet enfoiré peut bien avoir mon numéro de téléphone ?
Une fois encore, la déception m'envahit, espérant secrètement que le coup de fil aurait pu être JD.

« - Je t'envoie l'adresse par texto, demain 6H40 au plus tard, ok ?
- Tu veux que je parte à l'aube pour un travail dont je ne connais même pas les fonctions ?
- Tu me fais confiance ?
- Absolument pas. »

Il rit avec cette voix qui me fait sourire.
Il raccroche sans même me dire aurevoir, ou tout simplement s'assurer que je vienne vraiment au rendez-vous demain matin.
Je me laisse tomber sur le canapé d'un poids mort et ne peux m'empêcher de sourire, impressionnée par l'audace de ce mec lambda.
Je décide de relever le défi et pars en direction de la douche pour m'épiler « au mieux ». La chance que j'aie est que je n'ai pas un système pileux très développé. Je passe le rasoir par-ci par-là et le tour est joué. Je lave mon carré blond et prend le temps de les sécher. Je fais un masque que je laisse poser le temps que je fasse bouillir l'eau des pâtes et décide de ne pas me coucher trop tard.
Toute la nuit mes yeux sont restés ouverts alors que je me suis entêtée à leur expliquer que cela ne servait à rien, mais apparemment mon cerveau ne voulait pas dormir.
Quand j'ai demandé à Siri de me lire l'adresse la veille au soir, Google m'a indiqué combien de temps cela me prendrait pour m'y rendre et m'a gentiment donné les transports.
Pour être honnête, ce n'est que la deuxième fois que je m'apprête à prendre les transports depuis que je suis dans le noir. Mais j'ai confiance en moi et en la race humaine, quelqu'un volera à mon secours.
Mon réveil sonne alors que mes yeux sont encore ouverts, je me lève donc aussitôt et me prépare.
Comme j'ignore absolument tout du poste qui m'attend je décide de m'habiller ni trop classique ni trop cool. J'opte pour ma robe longue verte avec des fleurs au nuances rouilles. Dit comme ça, ça n'a pas l'air fou, mais cette robe est une pure merveille. Je l'ai depuis des années maintenant et elle ne m'a jamais fait faux bond.
Je ne maquille pas mes yeux parce qu'il est hors de question que je retire mes lunettes. Si c'est pour attirer les réactions comme celles de JD, très peu pour moi. Quel que soit le poste, ils devront faire avec ma nouvelle paire de Gucci.
Je sors du dernier métro et prends le temps de monter les escaliers en m'aidant de la rambarde. Là je n'ai pas d'autres choix. La phrase de cet arrogant à la tête de perroquet résonne dans ma tête. Même si ça me fait mal de l'avouer, son pic était très saisissant et prend tout son sens tandis que ma main se balade sur la rampe. C'est vrai que c'est dégueulasse une rambarde d'escalier. Tout le monde pose ses mains, du coup pose ses microbes...Fais chier ! Mon profil Tinder fait de moi une satanée rampe d'escaliers.
- Pile à l'heure, entends-je.
Je sursaute et m'énerve.
- Tu ne peux pas prévenir ?
- Nous sommes dans la rue, je ne peux pas m'annoncer alors que je t'attends depuis plus de dix minutes en haut de ces fichues marches.
Je n'aurais jamais dû venir.
- J'aurais pu tomber en arrière et me fracasser le crâne en deux !
- C'est ce qui s'est passé ?
- Bah non !
- Donc tout va bien. Tu es prête pour une première journée de travail ?
Je ne lui réponds pas et il m'attrape le bras pour le passer sous le sien. Je ne dis trop rien parce qu'il est évident que c'est un acte presque chevaleresque pour éviter que je ne déambule en plein Paris avec ma canne à hurler « T'es où Pierrot ? ».
Mais une question me taraude.
- Comment as-tu eu mon numéro ?
- Il s'avère que Marvin est un peu ma « Lila ». J'ai grandi avec lui, on est un peu comme des frères...
- D'accord, je crois que tu n'as pas compris. Je ne veux pas que tu me racontes ta vie, je t'ai demandé comment tu as fait pour avoir mon numéro ?
Il rit de nouveau et une fois de plus je me surprends à sourire.
Ce rire est vraiment magique, il faut l'avouer.
- Il s'avère que Marvin et Lila se sont bien entendu...
- Lila est en couple !
- Calme-toi, Montagnié, Marvin aussi. Tu sais les gens ont le droit de bien s'entendre, sans arrière penser.
Je pouffe et soupire.
- Tu n'es pas convaincue ?
- Je suis convaincue que nul n'est dénué d'intention.
- Alors dans ce cas, peut-être que Lila n'aime pas vraiment sa copine.
Je m'arrête, les yeux écarquillés derrière mes lunettes.
- Comment tu sais pour Carla ?
Il s'arrête à son tour et prend un ton suffisant.
- Tu vas être géniale pour ce travail.
Il me tire par le bras sans me donner les réponses à mes questions. Il marche doucement pour pas que je ne me prenne les spartiates dans ma robe et je l'entends qu'il salue une multitude de personnes.
- Où sommes-nous ?
- A ton nouveau travail !
Je n'arrive pas à déceler le bruit environnant. J'ai l'impression de marcher dans un couloir étroit et j'entends pleins de conversations différentes au fur et à mesure que j'avance.
Il me fait prendre un ascenseur, puis nous traversons un deuxième couloir. Tout le monde le salue comme s'il était un VIP. J'entends le bruit d'une machine à café et la voix d'un homme qui lui dit « Salut Ju ! ».
Il ralentit le pas et une porte s'ouvre.
- Claquos, Artémis, je vous présente notre nouvelle « Mégère » !
La mégère ?!

DANS LE NOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant