41. IL N'A PAS PERDU DE TEMPS

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            Lundi matin, 05h40. Un vocal de Julien m'expliquant que le changement, c'est maintenant. Il a négocié avec le grand patron pour que je change d'émission à compter d'aujourd'hui et m'annonce que mes horaires ont changé. Du 16h00-20h00. Au moins il est sûr qu'on ne se croisera pas. Le plus dur dans tout ça, c'est la fin du message. « C'était un plaisir, Montagnié, bonne continuation ».

Quel salopard !

C'est bien connu. On dit souvent « bonne continuation » aux personnes dans lesquelles on a trempé sa nouille. C'est pile poil ce qu'il fallait dire. Tu sais y faire mon vieux !

Mais il ne me reste plus qu'à rejeter violemment ma tête sur mon oreiller en gémissant comme une ado et tenter de me rendormir.

Mais c'est peine perdu.

Je suis en train de le perdre pour de vrai et ça mon cerveau ne veut pas s'y résoudre.

Qu'est-ce que je dois faire ? Putain mais pourquoi tout est toujours aussi chiant ?

La matinée a eu raison de moi. Ma motivation, mes podcasts à la con, tout ça est parti en fumée. J'ai pris rendez-vous chez mon médecin pour avoir un arrêt maladie. Je sais c'est loin d'être très courageux. Mais plutôt pathétique. Je ne veux pas faire ce chemin sans lui. Tout me rappelle Julien Blanqui. La radio, les transports, les gens qui parlent. Tout est un sujet d'amusement pour lui et ça l'est devenu pour moi aussi. Comment je vais faire pour me passer de sa bonne humeur contagieuse ? J'en ai besoin. J'ai besoin de lui. Quelle ironie. Il n'attendait que ça. Mais...avant.

Tandis que je passe de mon lit à mon canapé avec les mêmes affaires que ce week-end, je gémis, geins et grogne en me maudissant. J'essaie de me souvenir de l'époque où je voyais encore. Je plisse les yeux si fort, persuadée que ça pourrait m'aider à me rappeler de Marvin, des tocards qui ont toujours essayé de tisser un lien avec Lila et moi. Mais rien n'y fait. Je ne me souviens pas de lui.

Mon cœur se tord de comprendre à quel point il a raison. Je sais que je l'ai vu. Ou croisé ne serait-ce qu'une seule fois. Au « Marco Vivaldi », dans l'escalier, peu importe, je l'ai déjà vu mais impossible de m'en souvenir. Je ne suis vraiment qu'une pauvre Tati Danielle aigrie par la vie. Ou une sorte de fausse « Kardashian » qui se la jouait un peu trop pour remarquer un mec totalement lambda. Oui, mais je m'en veux d'avoir été si conne ! Cet « homme lambda » a filé entre mes doigts.

Une semaine est passée et je suis restée cloitrée chez moi profitant de mon arrêt avant la reprise de lundi. Ce soir sonne le début du week-end mais je n'ai pas le cœur au « Marco Vivaldi ». Je devrais peut-être y aller ? Tenter le tout pour le tout ? Essayer de le séduire à nouveau. Il me plaquerait le dos contre le carrelage gris des toilettes et soulèverait ma jupe pour approcher du fruit défendu. Nos langues se lieraient et scelleraient notre amour pour le reste de notre vie. Ou il me repousserait une seconde fois, m'humiliant devant les tocards qui me prennent pour leur divinité suprême et je rentrerais chez moi, la tête baissée et le cœur encore plus lourd.

Non. Je vais faire ce que je fais de mieux. Ne prendre aucun risque et accabler le destin pour cette vie merdique.

Je décide de lancer une rafale de podcast à la suite. Du « Jacqueline Démétrieu », ensuite je passe sur « Audible » et écoute « Le secret » de Rhonda Byrne. J'essaie de m'imprégner de toute cette gratitude qu'elles évoquent avec foi, mais seules ses arcades prononcées, ses joues creusées et sa peau fine hantent mon esprit. Les vocaux environnant ne sont que des paroles les unes après les autres. Elles n'ont aucun sens et ne parviennent pas à me convaincre. Que veulent-elles ? Que je remercie l'univers d'avoir été si cruche ? Égoïste ? Prétentieuse ? Hautaine et dédaigneuse ?

DANS LE NOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant