25. D'AMOUR OU D'AMITIE

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Au fond, je suis déçue qu'il ne soit pas là ce soir. J'ai laissé Lila mettre tous ses talents de maquilleuse sur mon visage angélique. J'ai une belle robe longue, fluide. Elle est verte avec des motifs tropicaux, très estivale et surtout elle me fait une poitrine d'enfer. Comment je le sais ? C'est Lila qui me l'a dit, avec un « Wow, non mais ces seins sont incroyables ! ».
Je suis arrivée au « Marco Vivaldi » avec confiance. J'étais prête à affronter Pierre Niney, le démon du sexe. Le loup qui se déguise en agneau.
Mais il n'est pas là ce soir. Je ne sens ni son parfum et n'entends pas sa voix. Personne pour me taquiner, pour me murmurer d'innombrables conneries auxquelles je me force de ne pas rire.
Il est avec « Joyce » ça ne fait aucun doute.
J'ai envie de m'assoir à côté de Marvin et de lui poser dix milles questions sur cette influenceuse à talons hauts. Mais Marvin est « sa Lila », il me trahirait en moins de temps qu'il me faudrait pour dire « ouf ».
Je décide donc de boire de la Pina Colada. Plein de Pina Colada. C'est ridicule, j'en conviens.
En moins d'un petit quart d'heure, j'en suis à mon deuxième verre et avec la chaleur et le sucre, je vous assure que le peu de rhum que Marco met dans ses cocktails me monte vite à la tête.
Je ne perds pas de temps.
Je choisis mes musiques. Pleins de musiques. Le début de soirée est toujours plus ou moins calme. La foule ne s'empresse jamais de chanter si tôt. Les gens ne sont pas assez alcoolisés.
Je commence dans le dur. Je me lance dans du Céline Dion, par ces musiques qui prennent aux tripes et qui reflètent mon état d'âme du moment.
« D'amour et d'Amitié ». La mélodie se lance, mon corps se balance lentement. Je lève mon micro jusqu'à ma bouche et je chante faisant taire les clients qui, je l'imagine sont bouche bée devant moi. Ma voix est douce et mon timbre est juste. Je m'approprie les paroles. Je m'approprie son histoire. Je la vis, je me plains, je me confie. Je ne vois que Julien dans ma tête et me l'imagine comme je l'ai vu en découvrant son visage que j'ai pris plaisir à toucher. Je continue de chanter en me remémorant ses rires, ses piques et ses chuchotements.
Le refrain arrive et je chante plus fort encore.
Les serveurs ne font plus aucun bruit.
Mais la mélodie baisse et le temps des confessions est terminé.
Peut-être pas...
Marco enchaine avec le deuxième titre que j'ai inscrit. « Turn Around, « si demain » » de Bonnie Tyler avec cette française ou canadienne aux cheveux courts. Ma voix se fait plus grave. Il ne faut pas que je déçoive Bonnie. Je m'applique sur les parties en anglais et ferme le poing lorsque je chante en français. Je veux montrer à la foule, certainement aux quatre tables du restaurant, que cette histoire est la mienne. Que je souffre, mais avec élégance et modération.
A la fin de cette musique ma gorge est sèche et me supplie de l'hydrater. Je regagne la table et tâte à côté de mon assiette pour trouver le verre de ma Lila. Je le bois d'un trait et essuie ma bouche du revers de la main. Beaucoup moins classe, il faut l'avouer.
- Ma chouquette, je savais que tu chantais divinement bien, mais cette prestation était...Wow !
- Tu as été top, Justine, continue de me flatter Marvin.
Mais leurs éloges ne réchauffent pas mon petit cœur.
Non.
Je voulais que Julien vienne.
Je voulais qu'il me supplie de lui pardonner.
Mais pour l'instant, je veux pisser.
Je déambule entre les tables, légèrement moins dégourdie que d'habitude, sans doute par le taux d'alcool que j'ai ingurgité dans un laps de temps très limité.
Entre les quarante degrés de dehors et le rhum blanc de Marco, mon corps bouillonne. Je fais couler l'eau et asperge mon visage et mon cou jusqu'à ma nuque. Je finis par glisser ma main mouillée entre mes deux seins pour les hydrater un petit peu, eux-aussi.
- Chouette prestation.
Je reste figée, ma main bloquée entre mes seins.
Cette voix !
Je me rapproche de quelques centimètres à peine et hume avec une grande inspiration.
Je reconnais ce fichu parfum.
Putain de bordel de merde, Julien est là depuis le début !
- Qu'est-ce que tu fais ici ? m'indigné-je comme s'il ne devait pas être au « Marco Vivaldi ».
- Je viens ici tous les vendredis, Justine. Tous les vendredis depuis plus de sept ans. C'est un peu notre rituel avec Marvin et mes autres « tocards », termine-t-il la voix grave.
Son parfum se fait sentir de plus en plus. Je sais qu'il se rapproche. Je le sens.
Mon cœur veut s'échapper de ma poitrine pour se jeter dans ses bras. Mes cuisses veulent s'ouvrir pour...Non, je vais trop loin.
- Depuis sept ans ? reprends-je, étonnée.
- Oui, Montagnié. Depuis sept foutues années.
C'est impossible. Il me ment, encore une fois. Lila et moi venons ici depuis notre adolescence. Marco était le seul à accepter que des mineures viennent dépenser l'argent de papa et maman dans une pizza et du coca pour chanter jusqu'à une heure du matin.
- Tu mens. Je t'aurais déjà vu sinon. N'oublie pas que je ne suis aveugle que depuis huit mois.
- Je ne l'oublie pas, Justine. J'ai eu la chance de voir cette lueur dans tes yeux bleus. Je ne connais que trop bien cet air dédaigneux qui te sciait au teint. Je sais que tu venais ici bien avant moi.
Foutaises !
- Pourquoi ne t'ai-je jamais vu, Hein ? reprends-je, le menton relevé persuadée qu'il me manipule.
- Parce que tu étais bien trop centrée sur toi-même. J'étais le « Pierre Niney » assit à la table des « Tocards ». Pendant longtemps j'ai cru que tu m'avais ne serait-ce qu'une seule fois aperçu. Mais tu ne m'as jamais vu, Montagnié, termine-t-il en chuchotant.
Son doigt vient se glisser sur ma main, non loin du lavabo encore mouillé. Sa respiration haletante se jette sur moi laissant un souffle chaud m'enivrer.
Il faut que je me recule.
Je ne dois pas tomber dans le panneau une fois de plus.
Mais il continue d'avancer et le mur en carrelage gris m'empêche d'aller plus loin.
Le froid des carreaux me saisit et me force à laisser un soupir s'échapper.
Ça y est. Il est tout près.
Son nez se balade sur la pointe du mien. Son torse frôle ma poitrine et sa main vient effleurer mes bras.
- J'ai attendu si longtemps que tu daignes me regarder...
Il est contre moi. Je sens absolument toutes les courbes de son corps, même les plus dures. Mes mains viennent se poser sur son torse sec et musclé. Elles redessinent les moindres lignes de ses muscles, de ses pectoraux...du bas de ses abdos. J'arrive à la ceinture de son jean et mon doigt s'y glisse pour faire le tour jusque derrière. Ma main glisse sur ses fesses et le rapproche un peu plus contre moi. Ma bouche cherche la sienne et un feu incontrôlable embrase mon ventre, ma poitrine, jusque dans mon entre-jambe.
Comment ai-je fait durant toutes ces années pour ne pas l'avoir vu ? L'avoir senti ?
Des fourmis viennent engourdir le bout de mes doigts jusqu'au bout de mes seins. Mes lèvres cherchent les siennes et mon autre main se hisse dans ses cheveux. Mon cœur bat à tout rompre. Il est là. Près de moi.
Je ne peux plus me contenir. Je ne peux plus attendre.
Ma bouche se jette sur ses lèvres. Ma langue se faufile contre la sienne laissant place à une danse harmonieuse et naturelle. Ce baiser est langoureux mais devient sauvage. Il mord ma lèvre et se frotte contre mon corps. Mes mains agrippent ses cheveux et l'empêchent de se reculer.
Il respire fort.
Je gémis doucement.
Mon corps tout entier tremble sous son emprise, sous ses mains qui serrent mes cuisses. Il me retourne d'un geste brusque et c'est au tour de mes seins, découverts par ma robe débraillée, d'être au contact du carrelage froid. Il se dépêche de défaire sa braguette et soulève ma robe pour mettre ma culotte sur le côté.
- Pas ici, chuchoté-je, consciente que nous pouvons être vus à n'importe quel moment.
Mais sa main me plaque un peu plus contre les carreaux, transporté dans une frénésie sexuelle.
- Julien, gémis-je tandis que je le sens pénétré à l'intérieur de moi.
Il se retire et me retourne pour m'embrasser avec passion et ardeur. Ses mains m'attrapent par les bras et il m'emporte dans une des cabines de toilettes qu'il se dépêche de bloquer avec le verrou. Il s'assoit et me soulève par les hanches. Mon corps ondule instantanément pour se frotter contre sa peau. Sa respiration devient plus bestiale et ses mains pincent mes fesses. Je me relève légèrement pour l'envelopper de mes cuisses et le sentir en moi de nouveau. Je ne retiens aucuns cris tandis qu'il pose sa main sur ma bouche. Il bouge de plus en plus vite et je me tiens à ses épaules pour ne pas vaciller, submergée par l'excitation. Soudain, il me soulève et laisse échapper un long gémissement. Je comprends que tout est fini et me hâte de replacer ma robe correctement. Je tâte la porte pour la déverrouiller et je prends la fuite, la respiration courte et le cœur battant.
Lila me rejoint alors que je suis dehors ignorant la direction à prendre pour me cacher sous ma couette, dans mon lit, loin de lui.
Essoufflée, elle s'inquiète et me demande ce qui s'est passé.
Aucuns mots ne parviennent à sortir de ma bouche et mon amie m'enlace et me raccompagne jusqu'à la voiture.
Lila me connait mieux que quiconque. Elle me laisse dans mes pensées, dans ce combat que je mène contre moi-même et contre le monde entier.
Je me hais de n'avoir su dire non. Je le hais de m'attirer autant. 

DANS LE NOIROù les histoires vivent. Découvrez maintenant