retour à la réalité

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- A ton tour de tailler la route, haleta Bastien à bout de souffle après une heure et demie de coupage sans arrêt. Je dois impérativement faire une pause ou je risque de finir totalement cramé.
- J'espère que tu ne comptes pas baisser les bras à ton tour, lançai-je. Je ne me souviens plus exactement de ce que tu m'as dit comme discours tout à l'heure, alors ça risque de ne ressembler à rien si je dois te le répéter.
- Ahahah, non, pas de souci pour ça. Je n'ai jamais rien abandonné, sauf peut-être quelques exercices de mathématiques, et je ne suis pas prêt de le faire de sitôt.
- Tant mieux. On fait une petite pose alors et on repart dans cinq minutes !
À peine avais-je fini de prononcer ma phrase que quelque chose bougea dans les buissons derrière moi. Je fis volte-face et faillis lancer le couteau que Bastien venait de me donner en plein dans la tête d'un groupes... D'humains ! des vrais, dont le chef faisait à peu près un mètre soixante-dix, avait des cheveux blancs, une paire de lunette et devait avoir la cinquantaine !
- C'est sa manière d'accueillir les gens, prévient mon ami. Que vous fassiez du bruit ou pas, elle est prête à vous assassiner dès que vous apparaissez.
- Ne raconte pas de bêtises, le rabrouai-je. Je suis juste un peu sur la défensive, j'avoue que le fait d'être perdue au milieu de nulle part est assez déstabilisant. Et vous, qui êtes-vous ?
Il ne me semblait pas les avoir vu dans l'avion, alors qui pouvaient-ils bien être ? Ils ne ressemblaient pas aux créatures qui nous avaient capturés, c'était déjà plutôt pas mal, mais nous ne savions rien de plus sur eux. En tout cas, Bastien leur avait parlé tranquillement, comme s'ils connaissaient déjà, ce qui devait être impossible.
- Bonjour, fit l'homme. Content de vous retrouver Bastien, et vous aussi, Laure.
- Comment connaissez-vous nos prénoms ? demandai-je, aussitôt sur la défensive.
Comment se pouvait-il que des gens au milieu de la jungle sachent qui on était ?
- Nous l'avons lu dans les journaux, répliqua-t-il après cinq secondes de blanc. Ils ont fait le compte des morts du vol mille quatre cent trente. Il n'y aurait eu aucun survivant d'après l'équipe de sauvetage, mais ils ont découvert un panneau en bois avec vos deux prénoms. Depuis, on essaie de vous retrouver. On quadrille des kilomètres de forêts tous les jours pour vous deux, et nous sommes les premiers à vous avoir trouvé. Suivez-moi, je vais vous ramener dans une ville pas trop loin d'ici.
La ville en question s'appelait Cayenne. Il s'avérait qu'on était « tombé » en Guyane française et que l'équipe de sauvetage avait des appartements là-bas. Des camions nous attendaient dans une sorte de campement provisoire qui avait été mis en place le temps de vérifier si nous étions dans le coin ou non, nous expliqua l'homme aux cheveux blancs, qui s'appelait en réalité Michael. J'étais épatée par tous les moyens mis en œuvre pour nous sauver. Je voyais peu de gens capable de financer une expédition pour si peu de gens juste parce que leur noms étaient gravés sur du bois. Mais je ne me plaignais pas d'avoir enfin retrouvée la civilisation humaine, bien au contraire. Retrouver un vrai lit et un vrai toit allait pouvoir être chose faite ! Bastien, de son côté, était en grande discussion avec Michael. Je ne savais pas ce qu'il lui disait, mais le fait de ne pas être inclus dans leur débat me rendais... jalouse. Ça faisait un bout de temps que je n'avais pas ressenti ce sentiment. La dernière fois devait dater d'il y a deux ans, lorsqu'un des collègues que j'aimais peu avait réussi à partir en Égypte à ma place alors que j'avais aussi demandé à y aller. On ne m'avait rien dit de plus que je n'avais pas été prise pour partir, mais j'étais sûre que c'était car je suis la seule femme à vouloir y aller. Le travail, toujours le travail... En tout cas, le vieil homme semblait fasciné par ce que racontait Bastien, car il avait les yeux grands ouvert et poussait des cris d'admirations sur certains moments fort. J'entendis plusieurs fois mon nom, mais n'y prêta pas attention. J'étais tellement fatiguée que je savais que je ne tiendrai pas à rester éveillée jusqu'à l'hôtel qu'on venait de me réserver. Mes paupières étaient lourdes et je sentais qu'elles se fermaient toutes seules. Bastien se lova à mes côtés et me chuchota que tout allait bien se passer, que je pouvais dormir. Puis il se releva, et j'aperçus à travers les deux fentes qui faisaient passer les images à mon cerveau qu'il se retournait et montrait le haut de son cou à l'autre homme. Celui-ci poussa un glapissement de terreur avant de se pencher pour voir de plus près. Puis il dit quelque chose que je ne compris pas d'une voix grave et je ne pus retenir mes yeux de se fermer. Il ne me fallut pas longtemps pour plonger dans un sommeil profond.
Je me réveillai dans un grand lit. Je n'étais donc plus dans la jungle ? Mes souvenirs me revinrent en masse. Oui, la camionnette, Bastien... Bastien ! Où était-il ? Je me levai d'un bon et fouillai la chambre. Mais il n'était ni dans le placard, ni sous le lit, ni dans le lit. Folle d'inquiétude qu'il lui soit arrivé quelque chose, je sortis de la chambre en courant d'air et courus jusqu'à ce que j'arrive au rez-de-chaussée.
- J'ai besoin de parler avec la personne qui a payé ma chambre, fis-je au monsieur qui donnait les clés des chambres, essoufflée.
- Ne voulez-vous pas vous habiller dans une tenue digne de ce nom avant ? me demanda ce dernier. Je baissais la tête vers ma tenue et me rendis compte que quelqu'un m'avait enlevé mon tee-shirt déchiré pour le remplacer par un magnifique haut de pyjama avec une grosse licorne rose dessus qui semblait être un peu trop petit pour moi.
- Dites-lui de venir dans une heure s'il le peut, sinon le plus vite possible, ordonnai-je en cachant mes joues rouges de hontes avec mes mains, ce qui devait montrer une version plutôt piteuse de moi. Je remontai les trois étages qui me séparaient du rez-de-chaussée d'une traite. À chaque fois que j'apercevais quelqu'un, j'essayai de me camoufler dans le mur blanc, ce qui n'était jamais un grand succès. Arrivée à ma chambre, je me hâtai de choisir ma nouvelle tenue, une belle robe verte assez légère. C'était une ville où il semblait faire plutôt chaud, et mon objectif n'était pas de cramer sur place mais de profiter de l'extérieur. En tout cas dès que j'aurai vu Michael. Je pris une douche rapide et attendis patiemment l'arrivé de notre sauveur.
Quelqu'un toqua. Ce devait être Michael. Ce n'était pas trop tôt ! Il était déjà onze heure moins cinq. Si je voulais faire quelque chose dehors ce matin, c'était trop tard.
- Entrez ! m'exclamai-je d'une voix forte pour être sûre d'être entendue.
Un homme que je ne connaissais pas entra.
- Bonjour, je m'appelle Justin. J'ai été envoyé par Michael suite à votre demande. Que puis-je faire pour vous ?
- Où est Bastien ? fis-je directement.
Je n'avais pas de temps à perdre avec la courtoisie, je voulais des réponses, et vite.
- Je ne peux vous divulguer cette information qui est tenue secrète de beaucoup de monde. Je peux simplement vous dire qu'il va bien pour le moment.
- Et la fléchette empoisonnée ? Qu'allez-vous faire ?
Le visage de l'homme se durcit et il ajouta d'un ton froid cette fois :
- Vous ferez mieux d'oublier Bastien. Nous vous avons acheté un billet d'avion pour Paris. Il part ce soir à vingt-deux heures.
- Je dois aller au Brésil pour l'exploration d'un temple.
- Je suis désolé de vous apprendre que l'entreprise pour laquelle vous travaillez a fermé ses portes le lendemain du crash de votre avion. Je pensais qu'on vous avait déjà mis au courant, mais ce n'est pas le cas. Je suis sûr qu'ils s'apprêtaient à vous le dire bientôt, quand ils seraient sûr que vous puissiez tenir le coup. Sur ce, je dois vous quitter. J'ai un rendez-vous important. Si vous avez besoin de moi en urgence, prévenez Michael.
Il me salua une dernière fois de la tête puis reparti d'où il était venu. Je restais là, assise sur le canapé, abattue. Je ne devais plus penser à la personne à laquelle mon esprit reliait tout sans cesse, et la seule chose que je savais faire dans la vie, explorer les choses anciennes, venait de me quitter en fermant ses portes. Pourquoi avaient-ils fait ça d'ailleurs ? Ils avaient toujours été plein d'argent ! Pourquoi fermer alors même que c'était le moment où mon cœur se prenait un mur, le moment où habituellement je m'orientais vers le travail pour ne plus passer à cette tristesse ? Qu'allais-je faire maintenant ? Qu'allais-je devenir ? Je me mis à pleurer. Même si ça mouillait les oreillers, ça me faisait du bien. Le reste, je m'en foutais royalement. J'avais juste besoin de déverser ma peine, une peine accumulée depuis bien trop longtemps.


un événement inattenduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant