Le rôle d'une épouse

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Le chauffeur disparut dans les ombres grandissantes du jardin. Le crépuscule du début d'automne avait laissé place à la nuit, et d'un seul coup, tout était devenu sombre.

Il y avait quelqu'un qui m'attendait là-haut. Une femme.

— Alors c'est vous, dit-elle d'une voix modulée.

Je relevai la tête. Son visage était racé, et avait dû être d'une grande beauté. Belle, elle l'était encore, mais avec quelque chose de dur dans les traits, accentué par son chignon strict et sa tenue protocolaire. Elle portait un kimono noir à motif de grues blanches, le vêtement le plus formel que pouvait porter une femme mariée dans les années cinquante, si je me souvenais bien des cours de Suzuki.

— Bonjour... vous, quoi ?

— La femme de Kazu-chan.

Son regard sévère et hautain — mais surtout, la façon dont elle appelait Hide —, alluma les warnings dans mon cerveau.

On y était. C'était elle. La fameuse « belle-mère » contre laquelle on m'avait mis en garde.

— Vous voulez parler de Hide ? fis-je en montant à sa hauteur. Oui, c'est moi sa femme. Je m'appelle Lola. Enchantée.

Je la dépassai d'une bonne tête. De loin, elle m'avait paru plus grande.

Elle ne répondit pas aux présentations.

— Je voulais voir à quoi vous ressembliez.

Et alors ? faillis-je répliquer.

— Venez, finit-elle par dire après m'avoir scannée des pieds à la tête. Mon mari veut vous voir aussi. Voulez-vous vous rafraîchir un peu d'abord ? Passer aux toilettes peut-être ?

— Ça ira, merci, répondis-je un peu sèchement.

J'avais hâte d'en finir. De retrouver Hide, surtout, et de pouvoir enfin me reposer sur lui. Où était-il ?

Je suivis mon hôtesse dans les couloirs interminables de l'immense baraque. Cette femme était donc l'épouse de l'oyabun. J'avais imaginé quelqu'un de plus jeune, de plus bling bling. Je me voyais déjà en train de raconter ça à Sao... Puis la maîtresse de maison ouvrit une cloison et mes yeux tombèrent sur une femme correspondant plus à ce qu'on pouvait attendre d'une femme de parrain : moins de trente-cinq ans, lourdement maquillée, avec une épaisse chevelure bouclée, fumant une longue et fine cigarette dans un salon de style japonais lumineux et bruyant. Un banquet. Il y avait même des geishas qui servaient du saké. Au milieu de cette assemblée d'hommes en noir se trouvait mon mari, qui trônait à la droite de l'oyabun. Il avait eu le temps de se changer et de revêtir une tenue de cérémonie traditionnelle — haori ethakama — assortie à celle de tous les invités qui se tenaient au premier rang. Il m'accorda un regard rapide — à peine une demi-seconde —, avant de tourner la tête à nouveau comme si de rien n'était. Absolument rien dans son visage n'avait changé.

On en parlera ce soir, Hide, songeai-je en serrant les dents, gardant moi aussi le visage le plus neutre possible.

Mais mon arrivée n'avait pas échappé au big boss.

— Ah ah ! s'écria-t-il en me voyant derrière sa femme. Voici donc la fameuse épouse étrangère de notre représentant du Kantô ! Hidekazu, tu nous l'avais cachée ? Fais-nous les présentations !

Derrière moi, l'épouse officielle avait disparu, sûrement retournée au fin fond de sa cuisine. Ne restaient que celle qui fumait en posant sur moi un regard dédaigneux et une brigade de geishas au visage de poupée. Sans oublier « Hidekazu », qui faisait tout son possible pour m'ignorer.

FEMME DE YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant