Le moteur ronronne, un bruit sourd qui couvre à peine mes pensées. À côté de moi, Tsuyoshi est aussi silencieux qu'un mur. Il a été le premier à me prévenir.
Il y a quelques heures, je flottais sur un nuage. Ce cadeau que Lola m'a fait... Seul avec elle, je caressais le ventre encore légèrement arrondi de ma femme, ayant l'impression de pouvoir sentir la vie battre au bout des doigts. À la fête de Narita déjà, je me doutais bien qu'elle était différente de d'habitude. En fait, elle portait mon enfant...
Et puis, ce coup de fil. Un seau d'eau glacée sur la tête. Comme si quelqu'un avait appuyé sur pause, interrompant brutalement ce moment de bonheur.
Yūji... Yūji, mon apprenti, planté comme un cochon qu'on égorge. Par des hommes de Kiriyama...
— Les Kiriyama, hein ? marmonné-je, à Naoto. On en est sûrs ?
Il hoche la tête, les yeux fixés sur la route.
— Ces enfoirés ne reculent devant rien.
Je sais que c'est la vérité. Les Kiriyama, nos ennemis de toujours, sont prêts à tout pour nous détruire. Et ils viennent de frapper là où ça fait le plus mal. Yūji, c'est plus qu'un subordonné, c'est ma famille.
Nous arrivons sur le lieu de l'agression. Les lumières stroboscopiques des ambulances éclairent la nuit d'une lumière crue. Une foule s'est amassée derrière les barrières, comme toujours dès que des yakuzas sont impliqués. Je bouscule tout le monde, déterminé à atteindre Yūji. Les flics essaient de m'arrêter, mais je les repousse d'un geste brusque.
— Laissez-moi passer ! je hurle.
Ils sont en train de faire descendre un hélico. Yūji est toujours à terre, entouré de soignants. Il est pâle, les yeux fermés. Un bandage ensanglanté lui ceint le torse. La colère me submerge, une vague de chaleur qui me monte à la tête. Comment ont-ils pu le laisser dans cet état ?
Je m'agenouille à côté de lui, posant ma main sur la sienne. Elle est froide comme la glace.
— Aniki... parvient-il à articuler. Pardon...
— Dis pas de conneries. Accroche-toi. Tu vas t'en sortir.
Avec l'abdomen perforé... putain. Putain de merde.
En voyant la panique dans ses yeux noirs, le voile de la mort, déjà, j'ai envie de lui donner une dernière parole de réconfort, de lui dire que le clan va prendre soin de sa femme, qu'on ne la laissera pas démunie, dans le besoin. Mais j'en suis incapable. Je peux rien faire d'autre que de le fixer, alors qu'il ouvre la bouche comme un poisson hors de l'eau, cherchent à articuler des mots qui ne sortent pas.
— Yūji... ne parle pas. On se verra plus tard.
Un médecin m'attrape par le bras et me tire en arrière. Je le repousse avec humeur.
— Lâchez-moi, bordel !
— Nous devons l'opérer de toute urgence, me dit le doc sans se formaliser. On l'emmène à l'hôpital d'Ueno.
Les infirmiers chargent Yūji dans l'hélico, dont les pâles déchirent la nuit.
Je me laisse entraîner, les jambes lourdes. Je ne peux rien faire d'autre qu'attendre. Attendre et prier.
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FEMME DE YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)
Romansa"Elle pourrait être le plus beau joyau d'un homme, la plus prisée de ses possessions. Et une arme, également, contre ses ennemis." Je m'appelle Lola. Je vais peut-être devenir la première occidentale à épouser un parrain de la mafia japonaise... Ôka...