Les résolutions d'une mariée

729 33 6
                                    

Le vent était agréablement chaud, et charriait le parfum sucré des fleurs de cerisiers. Chaque année, c'était sous leurs bouquets rose pâle que j'avais fait ma rentrée, dans cette atmosphère qui annonçait déjà les prémices de la fête. Mais l'université était finie. Ce jour-là était celui de mon mariage.

— Attends, ne bouge pas... ce kanzashi est en train de glisser.

Sao poussa doucement l'épais peigne de nacre dans mon imposante coiffe. Une perruque, évidemment : même les geishas ne confiaient plus leurs vrais cheveux au coiffeur traditionnel. La mienne était Satsu, l'habilleuse de Saeko, puisqu'au Japon, être coiffeur voulait dire aussi habilleuse de mariée.

— Ce chignon shimada vous va à ravir, s'exclama-t-elle, fière de son travail. Je n'ai jamais vu une étrangère porter aussi bien ce style !

J'osai un coup d'œil timide dans le grand miroir en face de moi. J'avais peur d'être moche, déplacée, ridicule même, en kimono.

— Pas dans la bonne mare, dis-je en français en utilisant le vocabulaire imagé d'éleveuse normande de ma sœur Nina.

Cette dernière me sourit. Elle était resplendissante, avec ses cheveux d'un blond estival relevés en un chignon élaboré, piqué d'une superbe fleur en cristaux Swarovski. Mon mari la lui avait offerte la veille, achevant ainsi de se la mettre dans la poche.

— Tu es superbe, dit-elle avec un sourire sincère. Une vraie geisha !

Satsu, qui avait saisi le mot japonais, approuva de la tête, ravie.

Cependant, je ne reconnaissais pas la femme qui me faisait face dans le miroir. Le noir de jais des cheveux qui contrastait avec la blancheur nacrée de la peau, un peu rosie aux tempes et aux pommettes, qui paraissaient plus hautes. La bouche carmin, minuscule, le trait de vermillon au coin des yeux et les sourcils en « aile de papillon », complètement redessinés.

— Vous avez le visage naturellement ovale, bien moins sculpté que la plupart des étrangères, expliqua Satsu en plaçant ses mains autour de mes joues sans les toucher. C'était facile de vous maquiller, en suivant le protocole habituel.

Je regardai mon kimono blanc, le fameux shiromuku, apporté par Saeko la veille. Elle et Nobutora logeaient au Hyatt, comme mes parents, Nina et son mari. Ils se croisaient dans les couloirs, heureusement tenus à distance par la barrière de la langue : leurs échanges jusque-là se limitaient à des sourires et des courbettes.

Saeko entra justement à ce moment-là.

— Je crois que votre mère a besoin d'aide, me dit-elle après avoir salué ma sœur — elle ignorait ostensiblement Sao. Elle ne sait pas où s'asseoir, et je n'arrive pas à le lui expliquer. Mon anglais n'est pas très bon...

Et le souci, c'est que ma mère ne parlait pas un mot de cette langue.

Je me tournai vers mon amie.

— Tu veux bien t'occuper de ma mère ? Nina fera la traduction de l'anglais au français...

Sao posa une main rassurante sur mon épaule.

— Je m'en occupe.

— Hidekazu a déjà dépêché son wakagashira pour s'occuper de vos parents, Lola, m'informa Saeko en coulant un regard oblique vers Sao. Il est allé leur chercher des bouteilles d'eau. Il fait plus chaud que prévu, aujourd'hui...

Je vis Sao oser un regard vers Saeko.

— C'est Masa, le wakagashira ? demanda-t-elle rapidement.

— Oui.

— Kondô Masahiro, en effet, rectifia fit Saeko en relevant le menton, croisant les bras sur son kimono dans le même mouvement. Vous le connaissez donc ?

FEMME DE YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant