Interlude 4 : Hide

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Onēsan cuisine vraiment bien, patron, pérore Yuji au volant. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Je me cale dans le fond de la banquette, les bras croisés.

— J'en pense rien. Regarde la route, Yūji. J'ai pas envie de parler de ma femme pour le moment, et surtout pas avec toi.

— Pardon, Aniki.

Je lui jette un œil dans le rétro. Il me renvoie l'image d'un homme tout de noir vêtu, lunettes, gants de cuir, blazer y compris. Le parfait patron sévère. Yūji, lui, porte encore le jogging de marque et la chaine en or prisée des apprentis. Il n'a pas encore droit à l'uniforme yakuza.

Ce gamin revient de loin. Il y a encore quelques mois, ce n'était qu'une petite frappe qui commençait à tremper dans des affaires louches. Jusqu'à croiser le chemin des yakuzas... et devoir leur rendre des comptes. Mais c'est lui qui a demandé à être intronisé dans l'organisation, et sous mon patronage exclusif.

— Je veux devenir comme vous, m'a-t-il dit, le regard clair et résolu, sans se laisser impressionner par mes hommes de mains qui le tenaient chacun à un bras.

Je lui ai demandé pourquoi.

— Si c'est pour faire le dur et rouler des mécaniques dans la rue, c'est pas la peine, lui ai-je dit. Cette époque est révolue.

— Non. Dans le milieu, on dit que vous tendez la main aux exclus, à ceux qui n'ont plus rien ni personne. Moi, j'ai plus rien ni personne. Pas de parents, et depuis la maison de correction, ma famille éloignée m'a annoncé qu'elle coupait les ponts. Pour l'instant, je suis faible, et vos hommes me tapent dessus parce qu'en essayant de survivre dans la rue, j'empiète sur vos plates-bandes. Mais je suis prêt à tout pour devenir fort. Pour, ensuite, tendre la main à d'autres gamins.

Son discours m'avait impressionné. D'abord, parce qu'il était lucide, et audacieux. Il fallait en avoir, des couilles, pour parler ainsi à un haut-cadre yakuza. Mais surtout, parce qu'il était sincère. J'avais entendu l'accent de vérité dans sa voix.

— Être gokudō, c'est chercher à devenir le chien le plus fort, et être prêt à mordre, à écraser les autres animaux dans la course au pouvoir. Mais comme tu l'as deviné, il y a une place pour tout le monde, si tant est que tu te sens capable de la tenir. Ta place, ce sera celle du dernier de la meute, celui sur lequel tous les autres pissent. T'es d'accord avec ça ? Quand tu voudras changer de position, il faudra le faire avec tes crocs.

Il avait accepté. Et était devenu mon apprenti direct, mon sumikomi. Masa s'était étonné que je lui propose l'ancien système en vivant avec Lola, mais je le devais à Yūji. C'était ce qu'il voulait, et ce dont il avait besoin. Comme moi, ce gosse n'avait jamais connu la vie de famille.

— On est arrivé, patron, annonce-t-il en se garant en double-file sous le portail en néon du quartier.

J'attends qu'il vienne m'ouvrir la portière. La bagnole gêne tout le monde, mais personne n'ose dire quoi que ce soit. Ici, c'est le dernier fief des yakuzas. En voyant un type qui correspond en tout points à la description, les badauds s'écartent comme des tiges de riz sous le vent d'automne.

Kabuki-chō. C'est aussi là que j'ai rencontré Lola. À l'époque, elle se déhanchait dans un restaurant minable, tous les vendredi soirs. Voir cette fille magnifique danser à moitié nue sur de la musique bizarre me rendait fou. Je lui avais proposé de l'acheter, et elle m'avait envoyé chier... ça avait été une véritable lutte que de la faire céder. Et dans le processus, j'avais moi-même été capturé. Elle m'avait posé le collier, comme cette fille au capuchon rouge dans le conte européen. Dévorée par le loup, mais à la fin, qui parvient à le capturer.

FEMME DE YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant