Obligations

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Le mois de décembre, ce n'était pas que les bônenkai. C'était aussi toutes les autres obligations liées au passage de la nouvelle année. Notamment, l'intégration officielle de Yûji dans la « famille » de Hide.

Honnêtement, je ne me sentais pas concernée. L'entrevue avec Noa m'avait rendue grave et maussade, et pour moi, l'excitation de l'hiver était plus liée à Noël — complètement ignoré par Hide — que les innombrables cérémoniels yakuzas. Jusqu'au jour où Yûji vint m'annoncer officiellement, tête baissée, que j'allais devenir sa « grande sœur » pour de vrai.

Cela se passa dans la cuisine, où je m'essayais à une recette de castela au matcha. Yûji entra dans la pièce, et pensant qu'il venait m'aider pour la bouffe, je lui tendis un grand saladier.

— Tu peux remuer la poudre de matcha et la farine, si tu veux, lui proposai-je. Fais attention à ce que le mélange soit bien uniforme.

Mais Yûji reposa le bol et baissa la tête, mains agrippées aux genoux, yakuza style.

O-nêsan, ça y est, m'annonça-t-il d'une voix vibrante de fierté. Aniki a accepté ma demande d'intégration. La cérémonie aura lieu le 3 janvier, un jour heureux, année du Serpent !

— Pfiou, tant mieux. J'avais peur qu'il te bizute encore pendant un an ! Mais c'est pas une sale année, ça, l'année du serpent ?

Nous allions enfin être tranquilles. J'adorais ce garçon, mais il y avait des limites.

— Non, c'est très auspicieux. Le serpent est la deuxième étape de la transformation en dragon ! J'espère encore rester un long moment au service d'Aniki... et du vôtre, o-nêsan !

Je lui jetai un regard oblique. C'est vrai que Yûji avait beaucoup changé, ces deux derniers mois qu'il vivait chez nous. Je le trouvais plus mature, plus posé, plus sûr de lui qu'à l'arrivée. Surtout, il avait l'air heureux.

— Bon. C'est vraiment une bonne nouvelle, Yûji. J'espère vraiment que tu arriveras à te transformer en un beau dragon rugissant.

— J'ai tellement hâte... et je suis tellement honoré que vous assistiez à mon entrée dans le clan ! C'est une cérémonie si importante... le plus beau jour de ma vie, une renaissance ! Il y aura tout le clan Ôkami, au grand complet. C'est un tel honneur !

Il s'emportait, comme d'habitude. Je tempérai un peu ses ardeurs.

— Je n'y serais pas, tu sais. C'est interdit aux femmes.

Et pour une fois, je n'étais pas mécontente d'être exclue de ces sociabilités machos. Les rituels yakuzas me faisaient peur, avec toutes leurs traditions sclérosées maintenues par des gardiens poussiéreux et taciturnes, misogynes et fachos. Et je ne voulais pas prendre le risque de recroiser Kiriyama Reizei. D'autant plus que ça ne devait pas être le seul psychopathe à trainer ses savates au Yamaguchi-gumi, loin de là.

Mais Yûji fronça les sourcils.

— Non, l'épouse du boss est toujours présente, pendant ces cérémonies... C'est la tradition. Vous y serez : c'est le patron lui-même qui me l'a dit.

— Moi, à une cérémonie yakuza ? rigolai-je. Jamais de la vie.

— Si, se braqua Yûji, bougon. C'est obligatoire ! Le boss l'a dit.

— Et moi je dis non. Pas de rituel yakuza pour moi ! Je suis une katagi, doublée d'une étrangère. Je ne veux pas me mêler de ces trucs !

FEMME DE YAKUZA (sous contrat d'édition chez BLACK INK)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant