Au-dessus de l'embarcation, un soleil planait, étendant ses ailes sur la mer. Pas la moindre tache d'ombre à l'horizon. Pas la moindre rafale de vent non plus. C'était un calme plat. Rien. C'était bien ça ; rien à part ce canot et cette petite fille. Et le bleu du ciel et de la mer.
Cela faisait déjà deux bonnes heures au moins que je m'étais réveillé dans cet enfer bleu. Nous dérivions sans but, là où le courant nous menait. La fille au visage pâle restait à l'extrémité de la barque, ses pieds se balançant toujours au-dessus de l'eau.
Le soleil, au fur et à mesure devenait une menace bien réelle. Mais le soleil tapait sur mon cou et sa morsure brûlait. Bientôt, et je ferais une insolation.
Je jetai un coup d'œil à ma montre. Le cadran était fissuré et la trotteuse avait cessé de courir. Elle était foutue. Cela avait dû arriver quand je me débattais sur le pont pour atteindre un canot, et alors que la foule hurlait, et que les gens se précipitaient vers leur mort certaine. Elle s'était arrêtée à 4 h 09. Je la détachai de mon poignet et la tint à bout de bras. C'était un cadeau de mon grand-père, décédé depuis fort longtemps. Il me l'avait offerte pour mes 14 ans. Je contemplais un moment l'objet métallique. Les deux sangles métalliques s'entrechoquaient l'une contre l'autre. Quelques secondes plus tard, elle coulait dans la mer. Je n'en avais plus besoin. Si je m'en sortais, si jamais je parvenais à tenir jusqu'à l'arrivée des secours, je m'en achèterais une autre. Mais autant vous dire que mes projets dans l'immédiat, mes problèmes était de nature bien différente...
Je levai la tête et évaluai la position du soleil. Il ne devait pas être loin de midi, et le soleil tapait. J'avais gardé mon tee-shirt, pour éviter que le soleil tape directement ma peau, mais je n'en sentais pas moins mon dos aussi brûlant qu'une plaque de cuisson. On y aurait sûrement pu faire cuire un œuf. Demain, ou dès ce soir, les effets du pire coup de soleil de ma vie se feront déjà nettement ressentir. La chaleur était abominable. Il faisait chaud mon Dieu, si chaud. C'est à croire que j'ai été enfermé dans un four. L'énorme four de la Terre. Aucun parasol sous lequel s'abriter juste quelques minutes. Oh... qu'est-ce que je ne ferais pas pour un p'tit coin d'ombre... Un tout p'tit riquiqui point d'ombre ou me camper. Un coin frais où je pourrais installer mon parasol et mon transat haha avec un p'tit mojito glacé. Mon Dieu... qu'est-ce que j'donnerais pas pour un p'tit cocktail, si ça s'rait pas beau ça... Un p'tit cocktail...
Je fus soudainement tiré de ma rêverie par une douleur intense à la main. Je me redressai dans un geste brusque et ramenai ma main contre mon torse, caressant mes phalanges meurtries. En face de moi, Nora me regardait avec ses grands yeux froids.
« Tu m'as... écrasé les doigts ! m'écriais-je, voyant rouge. Bon Dieu c'que ça fait mal !
– Je vérifiais juste si t'étais encore en vie, c'est tout. » répondit-elle d'un ton morne. Elle se détourna de moi à nouveau, sans vociférer aucune excuse, et retourna s'installer à son extrémité du navire. C'que cette fillette pouvait m'intriguer.
J'avais ma partie, elle avait la sienne. Aucun de nous deux n'empiétait celle de l'autre. Elle avait un bout, j'en avais un autre. Cette constante séparation allait me rendre fou. On était au plein milieu de l'Atlantique merde ! Ce n'était clairement pas le moment de se diviser ainsi. Je pensais que les gens étaient plus solidaires en situation extrême. Mais je savais que ce n'était pas toujours le cas. Parfois il fallait se battre, recourir à la violence pour sauver sa peau en dépit des autres. Une vision me hantait depuis un moment. Elle était d'une clarté presque aveuglante. La veille, quand tout a basculé dans l'horreur, j'ai entrevu au milieu de la foule ce jeune couple. Un peu plus tôt dans la soirée, je les avais aperçus sur le pont. Ils se tenaient par la main et s'embrassaient, se serraient l'un contre l'autre en une embrassade réconfortante. Elle, avait une épaule sur laquelle poser sa tête, lui, un contact attentionné et réconfortant. Ce fut ce couple-là même que je vis se disputer la place d'un canot qui aurait facilement pu contenir une dizaine de personnes. La femme le poussait, et l'homme lui arrachait les cheveux. Toute beauté avait éclaté comme une vitre. Et tandis que des flammes montaient de l'avant du bateau et qu'une fumée âcre envahissait l'atmosphère, je les ai vu l'un et l'autre basculer par-dessus la barrière. Il est pas beau l'amour ? Le vrai ?
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Pleine mer
Short StoryQuand Romain se réveilla sur cette barque en plein milieu de l'océan, après la tempête, après le naufrage, il se retrouva nez à nez avec *elle* : Nora, une fillette de douze ans, qui semble être apparut de nul part. Qui est-elle vraiment ? Que fait...