Je me réveillai bien plus tard, alors qu'une douleur diffuse me meurtrissait le flanc. Quand j'eus rouvert les yeux, il faisait encore nuit, bien qu'à l'horizon pointait l'éclat hésitant du soleil encore endormi. Au-dessus de moi était penché la figure blême de Nora. Dès qu'elle me vit entrouvrir les paupières, elle se redressa et les coups cessèrent de pleuvoir. Sa voix était calme mais elle tremblait.
« Romain... Romain... Faut que tu te réveilles, dit-elle en tirant sur une manche de ma chemise.
– Quoi ? demandais-je d'un ton bougon, qu'est-ce qu'y a ?
– Un bateau. Là-bas. »
A ces mots, je me relevai si brusquement que ma nuque craqua douloureusement. Nora m'indiquait une direction dans le lointain. Je ne vis tout d'abord rien, puis apparut dans mon champs de vision cette lumière qui avançait sur l'eau. Un petit point voguant sur les eaux, à des kilomètres et des kilomètres de notre barque minuscule.
Ne me sentant pas de joie, comprenant qu'il s'agissait là de mon unique échappatoire, je me mis à paniquer. Je cherchai autour de moi quelque chose, n'importe quoi, pour attirer l'attention, faire de la lumière. J'en avais presque oublié que j'étais sur une barque en plein milieu de l'Atlantique. Mon désespoir fut bien grand. Mais pourtant j'étais résolu à vivre encore un peu, et m'accrochai fermement à cette idée. Je montai sur un banc et tout en tentant de garder l'équilibre, agitai les bras au-dessus de ma tête en sautillant d'un pied sur l'autre, en hurlant aussi fort que je le pouvais. Je suis là, hey ! Je suis là, dans le noir, seul, perdu au milieu de l'océan ! Venez m'aider ! J'ai le droit de vivre bordel ! J'ai payé pour le tour du manège ! Mon tour continue ! Pourquoi le manège s'arrête-t-il !? Pourquoi la lumière est-elle éteinte ! AIDEZ-MOI !
Ce manège dura un long moment. Nora s'était rassise et observait avec attention la même direction qu'elle venait de m'indiquer. Au bout d'un moment, je dus me rendre à l'évidence : en plein jour, j'aurais eu une chance, quasi infime, mais dans le noir, pas la moindre. Je m'acharnais à tenter de signaler ma présence mais le bateau avançait toujours au loin, à l'horizon, à des années-lumière de moi. Regardez ici, bande de salops ! Je suis là, juste là ! Vous ne me voyez pas avec vos foutus radar ! Mon bateau a coulé, les passagers se sont noyés, la tempête s'est déchainée ! J'ai pleuré mais je ne comprends pas ce que je fais ici. Le tour de manège est déjà terminé ? Et les lumières s'éloignaient toujours un peu plus. Je criais à m'en décrocher la mâchoire. Sa trajectoire ne changeait pas d'un pouce. Il s'éloignait de moi, emportant avec lui mes derniers espoirs.
Néanmoins j'ai continué longtemps. Plusieurs fois j'ai failli tomber à l'eau, mais je reprenais mon équilibre juste à temps ; puis me remettais à sauter frénétiquement en criant, comme un fou désespéré. Car c'est ce que j'étais, nan ? A mes pieds, la petite fille me regardait avec un mélange de profonde tristesse et de pitié. Elle savait, tout comme moi d'ailleurs, mais je préférais continuer que d'affronter la réalité en face. Au milieu de cet enfer, ma seule bouée de sauvetage, c'était ça : cette vacillante lueur dans la nuit qu'est l'espoir. Parfois se faisant invisible, parfois passant au travers de mes doigts. Mais là, il était au plus bas, au même titre que mon envie de continuer. Nora me laissa encore cinq minutes, puis dix, puis quinze. Mes cris faiblissaient, s'effaçaient dans ma gorge, mais je continue d'appeler à l'aide. Mon cœur, au fond de ma poitrine, est en train de battre la chamade.
Ça ne pouvait pas finir comme ça ! Je devais... continuer. Oui ? Nan ? Je dois... continuer... ?
« Romain... »
Haletant, je cesse de sautiller et baisse le regard vers la silhouette sombre à mes pieds. Nora me tirait le bas du pantalon. Elle parlait d'une voix calme et apaisée.
« Quoi ?
– Il est parti.
– Hein ?
– Le bateau. Il est parti... »
Elle avait dit ses derniers mots avec une extrême douceur, comme si elle s'adressait à un malade en phase terminale. A un fou. Je devais bien en avoir l'air, d'un fou ! Mon regard se porta une nouvelle fois vers l'horizon. En effet, plus la moindre lumière. L'aube tardait à se lever, et le ciel et la mer commençaient à peine à se séparer.
« Romain ? » demanda Nora d'un air hésitant.
– Quoi ? répondis-je en me tournant vers elle. Le ton de ma voix avait été un peu trop brusque. Je lui avais presque craché dessus.
– Demain est un autre jour. Attendons le jour avant de nous inquiéter davantage. »
Je restai debout encore un instant, puis écoutai le très sage conseille de Nora. Je vins m'allonger contre sur le plancher, en ramenant mes jambes contre mon torse. Là, plié en deux dans cette position inconfortable et malgré la tristesse qui m'imprégnait, je parvins à trouver le sommeil de nouveau. A moins d'un mètre de moi, Nora marmonnait d'étranges prières dans une langues inconnue.
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Pleine mer
Short StoryQuand Romain se réveilla sur cette barque en plein milieu de l'océan, après la tempête, après le naufrage, il se retrouva nez à nez avec *elle* : Nora, une fillette de douze ans, qui semble être apparut de nul part. Qui est-elle vraiment ? Que fait...