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Inutile d'expliquer de nouveau la chaleur... Sous mon paravent, à l'ombre, elle reste insupportable. M'asperger d'eau de mer n'y change rien, c'est toujours le même refrain. La fraicheur n'était qu'éphémère, en l'espace de quelques secondes, les gouttelettes s'évaporent en laissant sur ma figure les désagréables croûtes de sel, faisant me sentir encore plus inconfortable. Je suis constamment baigné de sueur. Mon front, mon dos, mon cou jusqu'à mes jambes transpiraient abondamment. Je suis entouré par des millions et des millions de litres d'eau, et c'est pourtant dans la solitude et le désespoir que je nageais, que je me noyais. J'avais si chaud ! si chaud ! Je fermai les yeux, et derrière mes paupières closes dansaient devinez quoi... ces foutus verres de MOJITO ! haha ! Ils dansaient et m'appelaient... J'avais soif, si soif. Cela faisait plus d'une journée que je n'avais rien mangé ni rien bu, si ce n'est quelques lampés d'eau de mer...

Et puis... il y a cette voix dans ma tête qui me susurre des choses sombres...

Elle m'a dit de tuer Nora.

Qu'elle suffirait à me nourrir, à satisfaire ma faim et ma soif.

Elle m'a dit que...

MON DIEU ! NON ! QU'EST-CE QUE...

Réfléchis-y, Romain... Elle pourrait te permettre de tenir une ou deux journées de plus... Elle pourrait...

HORS DE QUESTION ! SORS DE MA TÊTE !

Je me réveillais en sursaut. Ce n'était pas la toute première fois que ça m'arrivait. Je tombais parfois dans des états de semi-conscience, à cause de la fatigue et de la déshydratation. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Encore quelques heures ? Quelques minutes ? Moins ?

A moins que...

Ma gorge est sèche, ma langue, un morceau de caoutchouc. Plusieurs fois, j'ai senti le gout du sang dans ma bouche. Je n'avais ressenti aucune douleur quand je l'avais mordu à pleines dents.

Mon ventre criait famine, mais je n'avais rien pour l'apaisé. Mes deux yeux, aussi secs que deux vieux raisin restaient clos la plupart du temps.

Qui aurait déjà pu ressentir pire souffrance ? Hein ? La chaleur étouffante d'une voiture abandonnée au soleil, ce n'était probablement rien. Plus qu'un doute, encore pire qu'une conviction : je n'arriverai jamais à la fin de cette histoire. Ce serait trop beau... beaucoup trop beau. Haha ! A moins que l'intrigue ne se résolve d'un claquement doigt ! Deus ex maquina ! Haha !

Immobile à l'arrière de mon navire de fortune, les dernières ressources d'énergies allaient se raréfiant. S'il n'y avait mon ventre se soulevant à intervalles régulières, on aurait tout à fait pu me croire mort. Mais ne l'étais-je pas déjà, mort, en fin de compte ? En tout cas, c'est ce qui ne tarderait pas à arriver.

Les secondes, les minutes, et les heures, lentement, s'égrenaient. Une par une dans leur interminable enchainement de clic et de clac. Qu'est-ce que je n'aurais pas donné pour les faire cesser...

Vers la fin de la matinée, toujours pas la moindre trace de nuage. Un ciel bleu, éclatant, cruel. Et une mer infinie, terrifiante, et... bleue. Oui, bleue. La mer ; ses aspects changeants, calmes, violents, imprévisible. Je fermai les yeux.

Quand le soleil fut au plus haut, je trouvai la force de remuer et changer ma position. Je jetai un coup d'œil vers mon compagnon de voyage. Nora ne bronchait pas. Elle n'avait plus dit un mot. La petite fille était toujours aussi pâle, et elle ne transpirait pas du tout. C'était tout à fait stupéfiant. Jamais elle ne se plaignait de rien, si ce n'était de mon comportement. Elle semblait tout à fait normale, comme s'il s'agissait d'une vulgaire balade en bateau le long d'un fleuve. Elle semblait ne souffrir ni de la chaleur, ni de la faim, de la soif ou même de la peur. Moi-même j'étais terrifié. Elle semblait juste... profondément ennuyée. Et elle restait seule dans son coin, parfaitement calme. Si elle éprouvait quoi que ce soit, elle n'en laissait rien transparaitre. On aurait dit pour elle que tout ça était du plus naturel possible. Mais cela ne me surprenait presque plus. Devrais-je m'étonner qu'un personnage aussi singulier que Nora m'intrigue encore ? Non, absolument pas. A ce stade-là, j'en étais presque arrivé à douter de sa nature humaine.

Pleine merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant