Mais voilà... mon heure arrive. Je le sens ; bientôt l'encre ne coulera plus.
Je crois bien que mes minutes sont comptées. Entre les suffocations, la douleur atroce dans ma poitrine et les doses de morphine, je suis perdu. Tout n'est qu'enchainement d'écrans noirs et de néons bourdonnants au-dessus de ma tête. Les lumières blafarde défilent au plafond tandis qu'on me traine dans les couloirs infinis. Parfois des silhouettes se penchent au-dessus du lit où on me trimballe dans ce labyrinthe sinueux et crient dans une langue qui m'est incompréhensible. Ils parlent fort, mais tout m'arrive atténué. C'est comme dans un rêve. Un rêve, mais pas si agréable que ça. Mon cœur s'affole dans ma poitrine et je l'entendais résonner dans mon crâne comme un marteau tapant frénétiquement sur une enclume. Je suis relié à tout un tas d'appareils qui sifflaient et crachotaient. Ma tête se balance de gauche à droite sur l'oreiller en un non répétitif. J'avais chaud aussi — mais peut-être pas autant que ce jour-là, sur l'océan, au milieu de nulle part — et la sueur perlait sur mon front. Mes vêtements adhéraient à ma peau. Entre deux moments d'inconscience, j'essaye de marmonner quelques mots étranglés et intelligibles, suppliant qu'on me laisse partir en paix, mais rien à faire. Le monde continue à s'affoler autour de moi. Je voudrais que cette douleur disparaisse. Bientôt, des points noirs se mettent à danser devant ma vision et un bourdonnement aigu recouvre le bruits des conversations et les bip bip réguliers des machines. Je tente de lutter un moment, mais je suis coulé de force. Je tombe de nouveau dans les eaux noirs.
Quand je revins à moi, un instant plus tard — quelques minutes, si ce n'est moins — Nora était assise sur le lit et me regardait de ses deux grand yeux de glace. Elle n'avait pas changé. Elle était comme dans mes souvenirs : ces mêmes cheveux blancs, cette pâleur extrême et ce teint délicat, ces yeux vifs remplies de malice. Toute de noir vêtu, elle sourit en me voyant ouvrir les yeux et dévoilait ses dents d'une blancheur éclatante. Elle riait, de bon cœur, de cette voix si douce que j'entendais en rêve et qui me fit oublier instantanément tout oublier, des médecins jusqu'à la douleur. Tout emblait perdre de son importance, comme si... comme si je m'éloignais de ce vacarme — Mais était-ce juste seulement une impression ?
« Bonjour Romain, s'exclame-t-elle.
– Salut... Nora, parvins-je à murmurer. J'pensais ne jamais te r'voir. Comment tu vas, depuis ?
– Moi, ça va. Mais toi en tout cas, tu as pris quelques rides et quelques kilos, si je puis me permettre... »
Je souriais à mon tour. Soudain, la douleur avait disparu, et je me sentis devenir tout léger, comme soulager d'un poids. Pendant des années, je m'étais réellement demandé si je reverrais un jour Nora. Je pensais que non, qu'elle devait être qu'un mirage. La revoir aujourd'hui m'émus plus que tout. Après notre malheureuse aventure en Atlantique, je savais qu'elle seule pourrait m'aider, me soulager dans ma détresse. Elle, elle seule comprendrait ce que j'endurais. Plus que n'importe lequel des psy que j'avais pu consulter.
« Alors... J'avais raison ? demandais-je. Tu es vraiment une sorte de... d'ange gardien ?
– Pas tout à fait, non, répondit-elle. Ses yeux pétillaient. Mais on peut dire ça en quelques sortes. Peut-être que tu préférerais que je te montre, non ? »
Elle me tendit la main. Mes yeux glissèrent entre sa main et son visage souriant.
« Je ne suis pas sûr que je puisse...
– Fais-moi confiance. Rien n'a plus d'importance. E puis, tout ça est derrière toi, dit Nora en embrassant les couloirs qui défilaient du regard. Autour de nous, le personnel continuait à courir partout en s'affolant. Ils ne semblaient pas remarquer la présence de la fillette assise de travers sur le lit.
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Pleine mer
Short StoryQuand Romain se réveilla sur cette barque en plein milieu de l'océan, après la tempête, après le naufrage, il se retrouva nez à nez avec *elle* : Nora, une fillette de douze ans, qui semble être apparut de nul part. Qui est-elle vraiment ? Que fait...