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Allongé à l'étroit sur le premier banc, à l'ombre (et oui mesdames et messieurs, vous pouvez applaudir !), je soupirai longuement. Je ressassai un peu. Je jetai un coup d'œil autour de moi sur les décombres du naufrage et murmurais faiblement :

« Mon Dieu, qui aurait su qu'ça finirait comme ça... Et moi qui m'réjouissais déjà à l'idée d'voir la réaction des collègues de bureau quand je leur montrerai les photos... »

Aucun bateau de secours n'était encore venu. Moi et cette fillette étions les deux seuls survivants. Mais je gardais encore espoir qu'on vienne nous secourir. Cela faisait un peu plus d'une demi-journée que l'Ecarlate avait sombré dans les profondeurs enténébrées de l'océan. Non. J'étais certains même. Il suffisait juste de patienter un p'tit peu. Et de survivre en attendant.

Plus j'y repense, plus cela me parait ahurissant. Ce genre de drame, ce genre d'accident, ça n'arrive qu'aux autres normalement ! On lit souvent des titres, à la télé, dans les journaux, de faits divers qui nous surprennent : à Paris, un homme tombe accidentellement de son balcon et reste 20 heures coincé sur le toit d'un café, les jambes brisées ; Bretagne, un homme oublie de mettre la pédale de frein. Bilan : deux morts et trois blessés ; Bordeaux, il survit deux jours enfermé dans les toilettes publiques d'une aire d'autoroute.

C'est le type de titrage en gras que publie la presse à sensation, du genre qu'on lit en pensant : « Oh ! Incroyable ! Terrible ! Sensationnel ! » mais sans que cela ne nous marque vraiment. Pour la simple et bonne raison que ça n'arrive qu'aux autres. Cette conviction est ancrée au plus profond de chacun d'entre nous. Un peu comme pour les joueurs du loto, et pourtant, cela ne les empêche pas de continuer à jouer. Ces événements ne nous marquent jamais vraiment dans nos chairs. On les voit sans trop y croire. Ce ne sont que des vagues menaces, des orages un peu lointains. Mais lorsque le vent tourne et que la tempête se dirige droit sur vous, quand ce genre d'accident vous arrive à votre tour, c'est terrifiant. Et ça signifie : non ; vous n'êtes pas immortels. C'est la vie. Tous, indépendamment de nos origines, de notre sexe, de notre richesse ou de notre âge, tous, nous nous retrouverons le jour de La Fin à bouffer les pissenlits par les racines. Et nous avons trop souvent tendance à l'oublier.

 « J'me demande bien c'qui a pu se passer pour que le bateau finisse au fonde de l'océan.

– On s'en fout, répondit Nora aussitôt, toujours de ce ton sec et claquant. Tant qu'il ne nous arrive pas la même chose... »

Ses propos m'abasourdirent. Une fois de plus, ou une fois de moins, qu'est-ce que ça changeait ?

« Bien sûr que non, on s'en fout pas !

– Tu te poses juste les mauvaises questions, Romain. Fais ce que tu as à faire sans penser. Ceux qui réfléchissent trop, dans des situations comme celle-ci sont les premiers à crever. C'est comme ça que vont les choses. Lorsque le bateau a coulé, tu ne t'es pas posé de question, tu as suivi ton instinct et sauté dans le premier canot. Les autres n'ont pas eu cette chance-là ; ils sont morts, en train de ramollir dans l'eau ! Contrairement à eux, tu as su saisir ta chance et aujourd'hui tu es en vie, quoique le soleil soit vraiment en train de te ramollir la cervelle. Alors ne réfléchis pas. Le passé c'est du passé. Tu as su quoi faire au bon moment. Tu t'en es sorti. C'est tout... »

Cette petite fille était vraiment intrigante, je ne me rappelle plus si je vous l'ai déjà dit ?! Elle avait l'air sûre d'elle, sûre de ce qu'elle avançait. Bordel... elle n'a pas plus de douze ans... Même si aux premiers abords, elle paraissait agacée, désagréable et froide — que dis-je : glaciale ! — je l'aimais bien. Ouai. Quand on est perdu au milieu de l'océan, vous savez, n'importe quelle compagnie est acceptable. Bien que je reconnaisse qu'il doive exister des portes de prisons moins amers que Nora.

Pleine merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant