Ce fut la fin de mon périple, mais surement pas celle de mon histoire.
Je fus ramené au Brésil où je passai un mois dans un hôpital de Rio de Janeiro a - la plage sera pour une autre fois peut-être - avant d'enfin retourner en France, dans mon pays natal. Pendant plusieurs mois, mon aventure fit inévitablement le tour du monde. La presse à sensation proclamait des titres en gras, à la une, du style : « Quand une croisière vit au cauchemar ; l'enfer de Romain Berthier. » et d'autres titrages toujours plus accrocheurs. Nulle part on ne vit apparaître le nom de Nora. Je n'en avais parlé à personne. Quand on me posait des questions sur la solitude que j'avais pu éprouver, je mentais. Je pouvais bien admettre que parfois un brin de folie venait me titiller, ou qu'il avait pu m'arriver de parler seul ou faire la conversation au soleil. Mais jamais je ne fis mention de Nora. Cette grande partie de l'histoire, j'en étais l'unique connaisseur. La vérité ne persistait que dans un seul cerveau, le mien. J'aurais aussi bien pu admettre l'existence de Nora, mais je n'aurais pas dit deux mots qu'on m'aurait enfermé chez les fous. Personne n'aurait pu croire une histoire pareille. Alors je me suis contenté de raconter ce que tout le monde voulait m'entendre dire. Malgré tout, malgré les innombrables remises en causes au fur et à mesure des années, je reste persuadé que je n'avais pas imaginé cette fillette.
Et puis rapidement, je retombai dans l'oubli. Je retournais au bercail, dans la grande grande ville auprès du commun des mortels. Deux mois plus tard, mon récit avait complètement disparu des mémoires. Elle s'était évaporée aussi vite qu'elle était apparue. Comme de très nombreux autres rescapés de terribles évènements, de désastres et de catastrophes, je tombai aux oubliettes. J'appartenais au passé, à ces choses qui vaguement pouvait ressurgir du néant de la mémoire collective, une minute ou deux, le temps de se demander : « Quel était son nom déjà... » avant de sombrer à nouveau dans les profondeurs abyssales de l'inconscient.
Nora ? Je ne l'oubliais pas complètement. Parfois son nom revenait trainer dans ma tête, sinon son visage. Parfois certaines de ses paroles, un véritable trésor de vie, qui maintenant était pour lourd de sens. Cette mystérieuse, si singulière petite fille me revenait parfois en rêve. Je la voyais me tirer par le bras en dehors de la folie de la grande ville, au-delà de l'agitation permanente de la société et de ses milles tracas. Nora était un fantôme et elle revenait me hanter. Bien des années ont passés et je me rappelle la pâleur de sa peau, ses cheveux blancs, son corps chétif et ses deux grands yeux emplies de mystère. Je me remémore de vagues souvenirs, qui se brouillaient avec les temps, mais gardaient leur beauté. Nora n'a jamais réellement disparu. Parfois elle n'était qu'un visage devenant flou, ou un nom flottant dans le lointain. Durant toutes ses années je ne l'ai jamais complétement perdue de vue.
Et moi ? Que suis-je devenu ? J'ai repris comme tous les habitants de la grande ville le grand grand chemin. Et j'ai bien marché. Malgré mes jambes encore tremblantes j'ai marché avec les autres. J'ai poursuivi une vie ordinaire de personnes ordinaire. Des années... oh oui ! Des années si vous saviez... Tellement... tellement d'année... c'est à en pleurer.
J'étais presque en âge de la retraite lorsque l'on m'a conduit à l'hôpital.
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Pleine mer
Short StoryQuand Romain se réveilla sur cette barque en plein milieu de l'océan, après la tempête, après le naufrage, il se retrouva nez à nez avec *elle* : Nora, une fillette de douze ans, qui semble être apparut de nul part. Qui est-elle vraiment ? Que fait...