18. You Can Stay

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Yalina et Neven sont assis dans la salle à manger, une pièce que la jeune femme n'avait pas encore eu l'occasion de visiter. Tout est aussi moderne et épuré que dans le reste de l'appartement. Une grande table en bois, fine, mais longue, est au centre de la pièce. C'est lui qui a mis le couvert, il les a placés l'un en face de l'autre. Après avoir disparu quelques minutes, il revient avec une bouteille de vin blanc et un tire-bouchon. Les assiettes sont immaculées, les serviettes pliées et repassées, les verres ne présentent aucunes traces, on pourrait presque croire qu'aucun de ces objets n'a été utilisé auparavant. Yalina commence à garnir leurs assiettes alors que l'homme ouvre la bouteille d'alcool.

- Vous en voulez, Yalina ? Demande Neven, voulant servir son verre avant le sien.

La question peut sembler bénigne pour la plupart des gens, elle ne l'est absolument pas pour la jeune femme. Yalina ne sait pas si elle doit dire la vérité ou non, car sa réponse attisera d'autres questionnements en lui.

- Non merci, je ne bois pas d'alcool. Refuse-t-elle poliment en posant la main sur son cœur.

- Pour une raison particulière ? Il fronce soudainement les sourcils, levant sa main libre comme pour s'arrêter lui-même. Ne vous forcez pas à me le dire, si vous n'en avez pas envie.

Se dévoiler de cette façon à un homme qu'elle connaît aussi peu est digne d'un effort pour elle. Le contexte lui fait pourtant voir les choses sous un autre angle. Neven l'avait vue dans un état psychologique que peu de personnes pouvaient supporter, en tout cas, ses proches n'avaient jamais réussi à l'accepter comme lui le fait. L'homme sert un verre d'eau à son invitée, dont elle boit une bonne partie pour détendre sa gorge qui commence déjà à se contracter.

- Je suis sobre depuis environ quatre ans. Elle n'a probablement jamais prononcé ces mots à voix haute. J'en étais arrivée au point où je ne pouvais plus m'endormir le soir sans être dans un état.. Yalina soupire en se remémorant ces moments difficiles. En tout cas, quand je vais bien, ce n'est plus un problème.

- Et, en ce moment ?

Comme toujours, Neven ne prend pas de pincettes et pose directement les questions qu'il pense être importantes. Il a raison. Plusieurs fois, depuis que Yalina sait qu'un stalker la traque, elle s'est demandée si boire ne l'aiderait pas à supporter tout ce chaos l'entourant. La jeune femme y a réfléchi, a hésité longuement en s'approchant du point de non-retour, sans jamais céder. Car elle sait qu'en état d'ébriété, elle serait encore moins apte à se défendre, à réfléchir de manière logique. Non pas qu'elle y arriverait en étant sobre. Parler avec Darkwaters à cette période l'avait aussi réellement aidée à ne pas succomber à ses vices, avoir quelqu'un avec qui discuter de tout et de rien empêchait son cerveau de divaguer, quelle ironie.

- C'est plus dur, mais je sais que ça n'arrangerait pas la situation.

- J'admire votre force Yalina. Je ne sais pas si à votre place, j'aurais pu m'en empêcher.

Aucun rire narquois, aucune once de négativité, toujours cette bienveillance qu'elle n'aurait jamais imaginée chez lui lors de leur première rencontre. La jeune femme a le souffle coupé, entendre une telle validation de sa part la touche énormément. Il ne s'en rend sûrement pas compte, il lui dit sûrement ça juste pour la rassurer, mais ses mots diffusent une chaleur consolante dans la poitrine de Yalina. Elle remarque aussi qu'il a posé la bouteille de vin et s'est servi un verre d'eau à la place. Neven goûte le riz à la mexicaine que son invitée a improvisé. La jeune femme ne s'inquiète pas de savoir si son plat est réussi, car elle l'a déjà goûté avant de lui servir. Elle ne connaît pourtant pas encore ses goûts et préférences.

- C'est très bon, merci pour ce repas. Déclare-t-il, satisfait, après avoir avalé ses premières bouchées.

Sa voix grave résonne aux oreilles de la jeune femme comme une mélodie envoûtante et séduisante. Il a arrêté de manger pour que leurs yeux se rencontrent, Yalina sent le poids de la tension entre eux l'accabler. Elle ne peut le supporter bien longtemps et commence à manger son plat, reportant son regard sur son assiette plutôt que sur son hôte, plus qu'appétissant lui aussi.

- Comme je vous l'ai dit plus tôt, je n'ai pas d'autre solution pour ce soir. Je vais donc passer la nuit ici et nous verrons demain si Vitaly s'est calmé.

L'annonce tombe comme un couperet sur la nuque de Yalina. Bien sûr, elle est rassurée de ne pas passer la nuit seule dans cet appartement beaucoup trop grand pour elle et pourtant, comprendre que Neven dormira dans une chambre non loin la déstabilise fortement. Elle pensait que Neven s'occuperait d'elle de loin, qu'il déléguerait au maximum cette responsabilité à Vitaly pour pouvoir s'occuper de ses priorités. Ce soir, c'est lui qui veillera sur elle.

- Est-ce que ça vous dérange ? Demande Neven, inquiet en voyant qu'elle s'est figée. Je ne peux pas vous laisser avec n'importe qui, vous préférez peut-être rester seule ?

- Non !

Il a l'air surpris sur le coup, Yalina s'est presque levée pour protester. Il hoche la tête et continue de manger son plat. Yalina gênée et ne voulant pas instaurer une mauvaise ambiance, décide de rapidement enchaîner sur un autre sujet.

- Vous connaissez Monsieur Kedrov depuis longtemps ?

- Oh oui ! Il dépose ses couverts sur son assiette pour parler, comme le font les gens aux bonnes manières. Nous avons grandi dans la même ville, nos familles sont proches. Quand je suis parti pour les États-Unis, je lui ai demandé de venir avec moi et depuis nous travaillons ensemble.

- Pourquoi avoir quitté la Russie ? Demande Yalina, curieuse d'en apprendre plus sur lui.

Pendant une fraction de seconde, l'expression de l'homme change. D'un Neven détendu, il passe à un autre, l'air déstabilisé par sa question. Yalina pense à s'excuser, à lui proposer de changer de sujet, mais elle n'en a pas le temps.

- Un événement familial m'a donné envie de changer d'air. Sa voix est monotone, il prend une profonde inspiration avant de poursuivre. Je me sens mieux ici et c'est tout ce qui compte. Conclut-il avec un sourire presque amer.

Yalina sent qu'elle ne doit pas creuser pour en savoir plus, le sujet semble beaucoup trop sensible pour l'homme. Leurs moments passés ensemble ont trop souvent été gâchés par des émotions négatives, tout ce qu'elle veut maintenant, c'est passer un instant léger et agréable avec lui.

Le repas s'est tout de même terminé sur une note plus légère, Neven lui racontant quelques moments embarrassants dans l'enfance et l'adolescence de Vitaly. C'est la première fois que Yalina le voit autant parler, être aussi animé par ce qu'il lui décrit ou de manière générale. L'observer parler de sa jeunesse attendrit la jeune femme, essayant d'imaginer à quoi il pouvait ressembler à l'époque, son visage d'enfant devait sûrement être adorable.

Après avoir débarrassé la table et rempli le lave-vaisselle, Neven raccompagne la jeune femme jusqu'à la porte de sa chambre. Comme elle l'espérait, ce moment l'a aidé à se détendre et elle sait qu'elle se sentira beaucoup plus légère avant de s'endormir.

- Je dois me lever tôt demain matin, je ne vais pas plus tarder.

Yalina est à l'intérieur, lui, est resté debout devant le pas de la porte. Elle le regarde, se faisant violence pour ne pas l'attirer dans la chambre. Il la regarde aussi, intensément, sans pour autant faire un pas de plus.

- Bonne nuit Miss Rey-Morenos.

- Bonne nuit Neven.

Il recule lentement, gardant ses yeux sur elle quelques secondes de plus, avant de s'en aller de l'autre côté de l'appartement. Yalina ferme la porte seulement lorsqu'elle n'a plus en vue son dos large, subtilement épousé par sa chemise. La jeune femme se jette dans son lit, le visage rougis par le désir, qu'elle enfouit dans un coussin.

Mortal BondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant