16. Unfair

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La conversation s'est arrêtée là entre Yalina et Vitaly. Durant tout le trajet, elle a cherché une bonne manière de lui faire réaliser qu'il n'avait en aucun cas le droit de se montrer aussi irrespectueux envers elle. Malgré tant de réflexion, aucune solution ne lui vient à l'esprit. Peut-être parce qu'elle ne comprend pas son point de vue. Ils ne font pas partie du même monde, comment pourrait-il se mettre à sa place ?

La jeune femme monte ses valises jusqu'à sa chambre pendant que Vitaly s'installe, toujours à la même place, dans le salon. Elle commence à sortir ses vêtements de sa valise, les installant dans la penderie et dans les tiroirs. Contre ses propres envies, Yalina continue de ruminer à propos de son nouveau « colocataire ». Même si l'appartement dans lequel ils séjournent est immense, ils sont dans l'obligation de cohabiter. Sans qu'elle s'en rende compte,ses gestes deviennent plus secs. Elle ne peut pas se laisser marcher dessus par un homme de plus, sûrement pas quelqu'un qui ne sait rien de sa personne. Sa colère monte lentement. Sa valise se vide, ses vêtements sont de moins en moins bien rangés. Sa position sociale et économique ou son apparence ne donnent pas un passe-droit à Vitaly, il est simplement censé faire son travail, comme son ami le lui a demandé. Surtout que resté avachi dans un canapé à regarder la télé ne semble pas être un poste trop éreintant aux yeux de la jeune femme.

- Si je vous dérange à ce point, demandez à quelqu'un d'autre de prendre votre place.

Yalina s'est retrouvée debout dans le salon, un t-shirt encore à la main,sans vraiment l'avoir planifié. Vitaly la fixe d'un regard désapprobateur, mêlé à de l'incompréhension. Lui non plus ne semblait pas s'attendre à son irruption dans la pièce. Il pose la télécommande sur la table basse et se redresse pour bien se faire comprendre.

- Parce que vous croyez que j'ai pas essayé ? Il simule un ricanement léger. Neven ne m'écoute pas, impossible de lui faire changer d'avis.

Cela fait à peine 24h qu'elle est sous sa garde et il paraissait déjà être au bout du rouleau. Apparemment, au point de s'en plaindre à Mr. Zintchenko. Elle n'a aucune idée de ce qu'il a pu lui dire, et s'il avait renversé la situation en lui disant qu'elle était insupportable ?

- Oh, vous vous inquiétez de ce qu'il pense de vous ? Continue l'homme, au bord de la crise de rire. Vous êtes qu'un projet humanitaire pour lui, c'est bon pour le karma, il paraît.

Ses mots sont tranchants et visent juste. Yalina sait que Mr. Zintchenko ne la perçoit pas comme elle, elle le voit. Leur petit repas français lui avait fait tourner la tête au point de mal interpréter les paroles de Zintchenko. Si Vitaly, qui semble faire partie de ses amis les plus proches le dit, elle ne peut qu'y croire. Elle qui a à peine côtoyé le russe, sa légitimité n'est pas la plus forte entre eux deux. Une bonne action, c'est tout ce qu'elle représente à ses yeux, rien de plus.

- Je n'ai aucune intentions envers Mr. Zintchenko, je n'avais simplement personne d'autre vers qui me tourner. Se justifie-t-elle, peut-être pour s'en auto-persuader.

- Bah voyons ! Il lève les yeux au ciel. « Mon prince, Mr. Zintchenko venez me sauver de mon donjon ! » Ajoute-t-il en imitant grossièrement la voix de la jeune femme.

Il montre enfin sa vraie personnalité, il se retenait depuis le début.Ce n'est pas un homme qu'elle à pour interlocuteur, mais plutôt un adolescent mal élevé. La mâchoire de Yalina se serre, son poing sur son t-shirt également. Les larmes de rage ne tardent pas à apparaître aux coins de ses yeux.

- Je n'ai pas demandé à être dans cette situation ! Lâche la jeune femme en laissant sa voix s'élever.

- Pourtant, vous avez choisi d'y mêler mon ami !

La bombe est lâchée, il a enfin osé exprimer le fond de sa pensée.Lui-même semble étonné de ce qu'il vient de dire, comme s'il admettait pour la première fois qu'il tient à Mr. Zintchenko. Yalina ravale la boule qui lui noue la gorge, incapable de prononcer le moindre mot, elle tourne les talons pour regagner sa chambre.Voilà, elle qui voulait mettre les choses au clair avec Vitaly, se plaindre de l'issue de cette conversation n'est pas une possibilité. Yalina le sait, appeler le russe ce soir-là n'était pas la meilleure décision. Ses problèmes ne peuvent et ne doivent être réglés que par elle, et elle uniquement. Les seuls qui auraient pu l'aider sont les forces de l'ordre et de toute évidence, la jeune femme ne peut absolument pas compter sur eux.

Yalina est complètement perdue, incapable de savoir si s'en aller est le bon choix, mais pour aller où ? Elle a déjà essayé de fuir.La peur lui tend le ventre alors qu'elle fixe sa valise, à présent vide. Imaginer faire un pas seule, dehors, la terrifie. Le stalker a fait son bout de chemin à l'intérieur de son psychisme pour y laisser une empreinte dévastatrice. Son incapacité à prendre ses propres décisions, à être autonome dans cette situation, la paralyse. Yalina aimerait pouvoir se dire qu'elle n'est pas qu'une fragile proie, un oisillon tombé du nid avant l'heure.

Vitaly entre dans la chambre, il a l'air aussi calme que Yalina et n'a pas fini de partager son opinion sur celle-ci.

- Pour ce que j'en sais, les femmes qui tournent autour de Neven ont jamais de bonnes intentions. Il a peut-être cru à votre cinéma, mais je suis pas aussi naïf.

Il crache ses paroles comme du venin au visage de Yalina. Elle se retrouve projetée dans le passé, lorsque sa mère lui hurlait qu'elle n'était qu'une pute à l'imagination débordante. Ses genoux se mettent à trembler comme ce soir lointain.

- Quel genre de personne inventerait une histoire pareille ? Sa voix se fait encore plus forte. Je ne suis ni folle, ni manipulatrice !

Vitaly la regarde de haut en bas, comme s'il allait juger de la véracité de ses propos en analysant son apparence.

- Folle je sais pas, mais c'est sur que vous avez pas le physique des filles habituelles. Il marque une pause, son sourire narquois faisant son retour. Grandes, bonnes, belles.

Yalina ne peut qu'être dégoûtée devant la façon dont il décrit les femmes. Au-delà de ça, Vitaly frappe encore et toujours là où elle est la plus sensible. La jeune femme à honte d'avoir pensé une seule seconde plaire à Mr. Zintchenko, qu'un homme comme lui voudrait entrer dans une relation avec une fille en proie à ses névroses. Sans mentionner un stalker mystérieusement obsédé par elle. Son estime d'elle-même n'étant déjà pas très forte,celle-ci prend un coup de grâce lorsque Vitaly prononce ces mots en se penchant vers elle :

- Il baiserait jamais une pute comme vous.

Les mots heurtent Yalina de plein fouet, le temps s'arrête quelques secondes. Le visage condescendant de l'homme face à elle fait remonter toutes les occasions où elle ne s'était pas défendue,toutes les fois où elle avait pris les coups sans ne jamais rien dire. La main droite de Yalina vient fendre l'air pour finir par s'écraser sur la joue de l'homme dans un claquement retentissant. En ressentant des picotements dans sa paume et le long de ses doigts immédiatement après l'impact, la jeune femme comprend qu'elle y avait mis toute sa force. Les yeux de l'homme s'écarquillent progressivement, peinant à réaliser qu'il vient bien de se prendre une gifle de la part de Yalina. Qui elle, reste bouche bée devant son propre acte.

Mortal BondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant