2. Every Breath You Take

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-          Vous écoutez Radio Los Angeles, il est exactement 7h36 ! Bon c'est vendredi matin, plus qu'un jour à tenir avant le week-end alors on vous...

Yalina éteint la radio de sa voiture et colle son front contre son volant. De sa place de parking elle voit les fenêtres de son entreprise allumées, certains de ses collègues sont donc déjà arrivés. C'est assez commun de détester son travail en tant qu'être humain dans un monde capitaliste, mais lorsqu'on est introverti comme elle, la situation se complique. La plupart de ses collègues ne l'intéressent pas et la perspective d'entendre les détails de leurs vies insignifiantes fait déjà monter la bile dans sa gorge. Addison va surement lui raconter le week-end qu'elle a prévu avec son fiancé dont elle est folle amoureuse et qui est également son seul sujet de conversation, Daniel va lui montrer fièrement une photo de sa fille en train de faire quelque chose de banal et Bridget partagera sa nouvelle recette de cuisine vegan testée la veille sur son pauvre mari.

-          Et toi Yalina ? Quoi de beau pour ce week-end ? Demande Addison après lui avoir montré des photos de la chambre d'hôte qu'elle a réservé avec son « chérinou » au lac.

« Moi ? Je vais rester à la maison pour faire des recherches sur Richard Ramirez, scroller sur Tinder comme si ma vie en dépendait et il me restera peut-être même un peu de temps pour réfléchir aux moyens efficaces de se débarrasser d'un stalker ! » Voilà ce qu'elle répondrait si elle était totalement honnête, mais personne ne l'est vraiment au travail.

-          Rien de spécial, je vais rester à la maison, j'ai besoin de repos.

-          J'ai l'impression que tu dis ça tous les vendredi ! Comment tu peux être aussi fatiguée en te reposant autant ? Tu serais pas malade sans le savoir ? Questionne Addison, faussement inquiète.

Elle n'était pas méchante, c'était d'ailleurs celle que Yalina supportait le mieux dans la longue liste de ses collègues. Mais pour être réaliste, elle n'avait pas inventé l'eau chaude. C'est vrai qu'être dépressif, sous médicaments depuis des années c'est épuisant. Yalina est parfois capable de dormir pendant des jours entiers si son réveil a le malheur de ne pas sonner. Elle se sent toujours lessivée la journée et pleine d'énergie la nuit, faussant son cycle de sommeil et la rendant amorphe. Une fois leur conversation terminée, chacune retourne à son bureau, soulageant Yalina de ce fardeau que sont les mots vides de sens autour de la machine à café. Elle allume son ordinateur et se met au travail. Son incapacité à trouver quelque chose qu'elle aimait faire l'avait poussée à devenir traductrice, de l'espagnol à l'anglais et vice versa. Née de parents mexicains et philippins immigrés dans leur jeunesse aux Etats-Unis, elle considérait autant l'espagnol que l'anglais comme ses langues maternelles. Ayant grandi dans un quartier populaire pour la plupart de sa vie, les opportunités qui s'offraient à elle étaient plus que minces. S'ajoutant à cela son état psychologique et le chaos qu'avait été sa vie jusqu'à ses seize ans, son avenir lui avait paru sombre pendant longtemps. Sa force de caractère l'avait poussée à se reprendre en main, à être celle qui prend les décisions dans sa propre vie. Yalina s'est accrochée aux études pour se sauver, se trouver un métier dont elle était capable et qui lui assurerait un minimum de confort et de stabilité. Mais cela impliquait des bavardages avec ses collègues, d'arborer une fausse personnalité et de porter un tailleur gris pale qu'elle haïssait plus que tout le reste.

Dernièrement elle travaille sur la traduction d'un projet entre deux grosses entreprises d'import-export, l'une étant colombienne et l'autre d'origine russe basée à Los Angeles depuis quelques années. Sa boite est plutôt réputée dans le milieu de la traduction et beaucoup de clients de haut standing leur faisaient confiance pour leurs affaires officielles ou confidentielles. Les papiers qu'elle devait traduire étaient assez ennuyeux mais lui demandaient une certaine rigueur, en lisant les pages qui lui avaient été données elle avait bien compris que ce dossier était de la plus haute importance pour les deux entreprises. Les termes utilisés étaient plutôt techniques et si elle se trompait, elle risquait de causer un malentendu qui pourrait lui couter son emploi. Elle y travaillait depuis plus d'un mois, aujourd'hui étant sa date limite pour présenter le contrat à l'entreprise colombienne qui, par la suite, l'utiliserait durant un rendez-vous entre les représentants officiels des deux parties et où elle serait présente.

Yalina relit une dernière fois sa traduction avant sa pause déjeuner, elle corrige quelques fautes d'inattention qu'elle a pu faire à cause de la fatigue puis envoie par mail sa traduction finale aux avocats et à son chef. Elle met son ordinateur en mode veille et prend l'ascenseur jusqu'à la cafétéria. Là, elle achète son repas habituel et s'installe seule à une table. Comme tous les midis elle implore sa chance pour que personne ne prenne pitié d'elle et ne vienne s'installer à ses côtés. Comme si elle avait besoin de compagnie pour effectuer une tâche aussi naturelle que manger. Yalina sort son téléphone et se connecte sur son site « Serial-Killers Fan Club ». Une vignette rouge se trouve sur l'icône de ses messages privés, elle pense y trouver un message d'Oejin mais ce n'est pas le cas. Un utilisateur qu'elle ne connait pas lui a envoyé un message.

Darkwaters : J'ai lu plusieurs de tes articles, tu as l'air de prendre tout ça très à cœur. Tes recherches et analyses sont assez poussées.

Yalina fronce les sourcils, elle est habituée à recevoir des commentaires sur ses articles la félicitant pour son travail, mais de là à lui envoyer un message privé ? Elle clique sur le profil de l'utilisateur : pas de photo de profil, pas de description, pas d'article ou de commentaire posté en ligne. Sa gorge se serre. Encore ce sentiment d'être épiée qui lui transperce la nuque. Elle observe discrètement ses alentours, seuls ses collègues se trouvent dans la cafétéria et personne ne semble regarder dans sa direction. Le message date de quelques heures, lorsqu'elle travaillait encore à son bureau et n'utilisait pas son téléphone. Yalina décide d'envoyer une capture d'écran du profil de l'inconnu à Oejin pour savoir si elle a entendu parler de cette personne, mais son amie n'étant pas dans le même fuseau horaire, elle lui répondrait surement plus tard dans la journée. La communauté des fans de serial-killers étant assez restreinte, spécialement sur ce site, elle en saurait peut-être plus sur ce compte mystérieux.

Coldnightx : Bonjour, je vois que tu es nouveau ici, tu sais que tu peux mettre un commentaire sous l'article que tu as apprécié au lieu d'envoyer directement un mp à l'auteur(e) ?

Peut-être que cette personne ne connait pas le fonctionnement du site, peut-être qu'elle ignore que les messages directs sont principalement envoyés entre des personnes qui se connaissent un minimum. Le téléphone de Yalina se mit à vibrer presque immédiatement après sa réponse.

Darkwaters : Je suis effectivement nouveau mais je voulais t'envoyer un message personnellement. Ta façon d'écrire et ton empathie envers les tueurs m'a particulièrement touché. Et tu as l'air d'être assez populaire ici.

Le cœur de Yalina s'accélère et sa respiration devient difficile. Quelque chose dans ce message fait que tous ses poils se dressent sur son corps. Elle se lève bruyamment, faisant grincer sa chaise en arrière et soudainement tous ses collègues la dévisagent. Un silence lourd règne dans la grande pièce et des sueurs froides parcourent son corps. Elle attrape ses affaires en vitesse et jette son plateau repas à la poubelle avant de sortir rapidement de la cafétéria, puis de l'immeuble. Enfermée dans sa voiture elle tente de se calmer, de maitriser sa respiration, mais n'arrive pas à arrêter de surveiller toutes les voitures garées autour d'elle. Si elle revoit le véhicule suspect qui la suivait, elle rentrera chez elle pour s'y enfermer et y mourir. Son téléphone s'agite à nouveau dans sa main.

Darkwaters : J'espère que mes messages ne te dérangent pas. Je ne veux pas me montrer impoli, excuse-moi si je t'ai mise mal à l'aise.

Yalina écarquille les yeux et la panique s'empare d'elle. Comment est-ce possible ? Est-ce que cette personne l'a vue sortir du bâtiment en vitesse ? Ses oreilles commencent à se boucher, le monde se resserre autour d'elle et son souffle ne fait qu'accélérer de plus belle. « ...si je t'ai mise mal à l'aise. » Elle réalise avec horreur que l'utilisateur sait qu'elle est une femme. Une information qu'elle n'a jamais divulgué à part à ses amis proches sur le site. Yalina enclenche le moteur de sa voiture et démarre en trombe pour rentrer chez elle.

Mortal BondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant