Cet appartement des protecteurs ne payait pas de mine. Marcus ne doutait pas une minute que le clan disposait de centaines de refuges dans le monde. Beaucoup devait être dans l'état de celui-ci, ces jours-ci.

Bien que le clan Dumaine se reconstruisait enfin, il était encore constitué de trop peu de membres pour être assez fonctionnel dans le monde. Les protecteurs n'étaient pas assez nombreux que la situation actuelle de Ariman le demandait. Les conflits internes étaient devenus trop nombreux ces dernières années tandis que les chefs de clan profitaient de la faiblesse des protecteurs pour se faire la guerre. Chacun voulait gagner de l'influence et de la puissance à l'encontre de son adversaire. Aucun n'avait pris la peine d'examiner les conséquences de leurs actions sur le long terme. Ou plutôt aucun n'avait semblé concerné. Ce qui était une redoutable erreur pour tous les immortels. Les combats modérés étaient toujours bénéfiques pour Ariman. Sans eux, le taux de mortalité dans Ariman serait trop bas. La population d'immortels deviendrait bien trop importante pour garantir leur sécurité face aux humains... et, plus tard, pour se nourrir dans le cas de certaines espèces. Depuis que les protecteurs ne pouvaient plus effectuer convenablement leurs tâches, les combats étaient devenus trop dangereux et nombreux. Incontrôlables, ils avaient beaucoup trop réduit la population d'immortels, aujourd'hui. Voilà pourquoi les surhumains étaient devenus si primordiales aujourd'hui.

Et pourquoi, ils devaient mettre un terme à ce complot avant même qu'il ne commence. Ariman ne pouvait pas se permettre que cette étincelle s'embrase ! Une guerre civile entre les gargouilles serait catastrophique. D'autant plus qu'elle risquait de s'étendre aux autres races comme c'était souvent le cas dans ce type de situation. Tout dépendait vraiment de l'identité des comploteurs et, étant donné le premier nom qui était sorti, les craintes des protecteurs étaient justifiées.

Briarnas ! Cette gargouille était l'un des pires criminels de leur monde et, malheureusement, l'une des personnalités les plus influentes. Une influence et une puissance qu'il avait gagnées uniquement grâce à ces jeux de gladiateurs. Faire tomber ce mâle serait décidément une excellente chose. A la fois pour les protecteurs et Ariman. Les protecteurs étaient conscients que ces combats clandestins faisaient bien trop de victimes à eux seuls. Le monde se portait mieux à chaque criminel comme Briarnas qui tombait. Pour finir, faire tomber Briarnas permettrait aux protecteurs de se concentrer sur d'autres préoccupations comme les conflits internes à Ariman.

-Tu es bien pensive.

La voix sèche du prince ramena l'attention de Eléonore sur lui. Marcus n'avait pas été impressionné par l'état du refuge mais, heureusement, n'avait rien dit. Il avait laissé Eléonore seule dans le petit bureau pour étudier le reste de leur abri. Pendant ce temps, Eléonore avait contacté le siège pour un échange d'informations. Les interrogatoires n'avaient encore rien donné mais ils n'avaient parlé qu'à la moitié des gargouilles présentes. Léonard et Valérius avaient, de leur côté, été satisfaits des avancés de Marcus et Eléonore. A la satisfaction de la fée noire, Léonard lui avait donné carte blanche pour agir contre Briarnas. Leur clan n'en avait jamais eu la possibilité avant ce jour.

Eléonore étudia le prince qui était accoudé à l'encadrement de la porte. Il s'était rafraîchi et semblait, de nouveau, impeccable. C'était l'image même d'un être stable et confiant... fiable. Eléonore jugea qu'à défaut d'avoir un de ses compagnons de clan pour l'accompagner, ce mâle était une bonne alternative.

-Je sais où trouver Briarnas. On s'accorde encore quelques heures de repos et on s'y rend.

Marcus inclina la tête et alla de nouveau se planter devant la fenêtre. Eléonore ne désirait rien de plus que de le laisser là, en sécurité. Prince ou pas, aux yeux des protecteurs, Marcus était un civil. Sa place n'aurait pas dû être dans cette mission. Cependant, ce n'était pas seulement pour cette raison que Eléonore voulait le laisser. C'était surtout parce qu'elle s'était déjà trop attachée à lui. Elle voulait le protéger, même s'il n'en avait pas besoin. Elle n'avait pas voulu se rapprocher autant de quelqu'un depuis qu'elle avait quitté son ancien clan. Depuis que ses parents étaient morts assassinés. Elle avait quitté son ancien clan alors que celui-ci était déjà en partie perdu. Elle n'était pas parvenue à tisser des liens forts avec les autres protecteurs. Et, aujourd'hui, elle se sentait, de nouveau, perdue. Elle s'était dangereusement rapprochée du prince gargouille. Elle ne voulait pas se rapprocher davantage de lui ! Voilà pourquoi, au fond, elle ne désirait pas mener cette mission avec ce mâle. Pourtant, elle n'avait pas d'excuse réelle pour le laisser derrière. Pas d'excuse significative en tous cas.

Cette mission s'annonça être un vrai jeu de piste, longue et compliquée. Avec un peu de chance, cependant, leurs ennemis ne seraient pas particulièrement puissants. Intelligents et patients, sans aucun doute, mais en perdu dans un combat en face à face. Du moins avec de la chance... Briarnas n'avait jamais certainement jamais montré une grande puissance. Eléonore espérait seulement que c'était aussi le cas de ses autres associés.

Son regard revint vers Marcus qui ressemblait davantage à une statue angélique qu'à un être vivant. Eléonore savait que le côté 'normal' des gargouilles était toujours séduisant mais elle savait aussi consciemment que Marcus était un des spécimens les plus magnifiques. Son côté plus bestial devait en être que plus cauchemardesque. Le simple changement de ces métamorphes suffisait souvent à tétaniser nombre de leurs ennemis. La différence entre les deux formes des gargouilles était trop grande pour que certains esprits acceptent le changement. Les plus faibles allaient jusqu'à se briser. Les protecteurs ne savaient, en réalité, pas grand-chose des gargouilles sous leur forme bestiale. Bien qu'elles en soient très fières, les gargouilles n'utilisaient leur forme bestiale qu'en dernier recours. S'ils en venaient à prendre cette forme, c'était que l'individu se jugeait en grave danger, un danger potentiellement mortel. Pousser une gargouille dans ses derniers retranchements, vers sa forme bestiale, était loin d'être une bonne idée. Les gargouilles étaient déjà terrifiantes d'efficacité sous leur forme quotidienne, c'était une race guerrière qu'on avait raison de redouter.

Eléonore n'imaginait pas que l'un des princes de cette grande race ne soit pas l'un de leur meilleur guerrier. Eléonore contempla son compagnon, incapable de se défaire de son attraction pour ce mâle. Elle craignait d'y mettre un nom. Elle ne voulait pas se sentir aussi proche de quelqu'un. Elle savait, par expérience, que cela finissait toujours par faire mal d'être aussi proche de quelqu'un. Elle se détourna, donc, d'un mouvement brusque comme si c'était suffisant pour éloigner ce sentiment, pour le tuer dans l'œuf. Un vœu pieu si c'était bien ce qu'elle pressentait. Elle refusa de laisser ses pensées s'attarder sur le sujet, cependant.

Elle sortit des vêtements d'une commode. Malgré les apparences, cet endroit, comme tous les refuges des protecteurs, étaient sommairement approvisionnés. On ne s'attardait pas à les nettoyer et à les réparer tous mais on veillait, au moins, à ce qu'il y ait des produits de premières nécessités de disponible. Ce qui comprenait des vêtements, heureusement. Défraîchis, sans aucun doute, mais ça devrait suffire...

Elle se dirigea, sans un mot, vers la salle dont elle claqua la porte. Peut-être un peu violemment mais ce n'était pas contre son caractère impétueux et, de toute façon, sincèrement, elle se fichait de l'impression qu'elle laissait au mâle.

+

Marcus regarda la fée noire disparaître dans la salle de bain du coin de l'œil. Il ne put retenir un sourire à l'irritabilité excessive de la jolie guerrière. C'était une partenaire comme on en rêvait. Aussi bien dans un combat que sentimentalement. Les créatures de Ariman ne juraient que par la force. Malgré tout, Marcus n'avait jamais pensé être aussi attiré par une femelle en dehors de son espèce. C'était certainement une première pour Marcus.

Le prince gargouille ramena sa pleine attention sur le paysage extérieur. Il n'était pas temps de se laisser distraire par quoi que ce soit. Certainement pas par une romance quelconque. Cette mission était primordiale ! Il ne se laisserait pas distraire. Pour le moment, il allait surveiller les environs. Il savait consciemment que ce refuge des protecteurs était bien protégé. Malgré tout, Marcus ne se sentait pas assez en confiance pour se reposer sur ces protections. Et, par extension, sur les protecteurs.

Les protecteurs de Ariman, tome 5 : Damnés dans l'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant