21 : Il faut partir avant le drame

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Victor reprend le journal de Billie. Il l'ouvre et constate que sa lecture est dérangée par des pages manquantes, évidemment. Un point d'interrogation dans l'énigme, il va falloir qu'il retrouve ces pages même si cela lui parait impossible.

***

5 octobre

J'aime Victor. Je n'ai pas peur de dire qu'on est fait l'un pour l'autre. Je le sais car au fond de moi je le sens. Mais c'est trop risqué, c'est trop risqué de l'aimer. Je n'ai pas peur de lui, j'ai peur pour lui. L'autre n'est jamais loin, il me hante comme un fantôme et il hantera Victor à son tour. Je ne veux pas le retrouver avec le ventre troué, je ne me le pardonnerai jamais. Je ne veux pas voir la lumière s'éteindre dans ses yeux, comme le chevreuil.

Il fallait que j'arrête tout. Je l'aime tellement que je préfère le laisser partir, qu'il ne risque rien. Il faut que je le laisse partir.

Aujourd'hui, j'ai bien failli l'embrasser, l'air était électrique au lycée.

Il était 15 h et on regardait ses potes jouer au foot. On était assis dans le gazon face au stade, les feuilles orange des arbres volaient dans tous les sens ce qui annonçait que le mois d'octobre s'était définitivement installé.

Je me suis allongée dans l'herbe et j'ai regardé le ciel bleu. Des mouettes passaient dans le ciel et braillaient, comme d'habitude. Ce son est représentatif du nord de la France. Victor me regardait du coin de l'œil, il s'est baissé dans ma direction en posant son coude dans l'herbe et en soutenant sa tête avec sa main. J'ai fermé les yeux et j'ai sentie le vent me caresser la peau. Je me perdais dans mes pensées.

— Mars... Reviens sur Terre, a dit Victor.

J'ai ouvert les yeux, son visage était à quelques centimètres du mien. Je sentais la chaleur de son corps se heurter au mien. J'ai remarqué qu'il s'approchait dangereusement jusqu'à frôler la pointe de mon nez avec la sienne. Mon cœur a loupé un battement.

Je me suis redressée brutalement, comme si je venais de me souvenir d'un truc, j'ai inventé un bobard et je me suis tirée. Avant de partir, j'ai embrassé Victor sur la joue, je ne voulais pas partir comme une voleuse. Mais je savais que c'était la première et la dernière fois que j'allais être aussi proche de lui.

C'est dangereux de m'aimer. Et je m'en rendais compte un peu trop tard. J'ai laissé naître nos sentiments et je venais de les couper net. Je me souviens encore de la chaleur et de la douceur de sa peau, de son parfum vanillé. C'était la dernière fois que j'allais la sentir d'aussi près.

***

Victor caresse la page du journal, l'encre a bavé et séché. Billie pleurait en écrivant.

***

Je suis partie me réfugier aux toilettes, j'ai pleuré discrètement. J'en veux à l'autre de ne pouvoir accueillir personne dans ma vie et dans mon cœur. Je suis condamnée à vivre seule. Je me suis assise sur le siège des toilettes et je me suis recroquevillée sur moi-même. J'ai entendu d'autres filles entrer. J'ai tendu l'oreille pour écouter leur conversation.

— Je ne comprends pas comment un gars comme Victor Hauran puisse s'intéresser à une fille comme Billie Mars... Cette fille est trop... bizarre. Il mérite mieux.

— Clairement... Et puis il n'y a qu'à voir son nom de famille pour voir qu'elle est étrange. Mars ! Elle vient d'ailleurs cette meuf !

Les deux filles ont ricané puis j'ai entendu la porte s'ouvrir. J'ai grimpé sur le siège des toilettes pour voir de qui il s'agissait. Au passage, j'ai séché mes larmes et essuyé mes yeux pour voir plus nettement. C'était Amandine qui entrait dans les toilettes.

Je ne parlais plus trop à Amandine depuis ce qu'il s'était passé. Mais je lui ai promis de ne rien dire et elle m'a promis qu'elle arrêterait ces conneries. Ce qu'elle fait, c'est puni par la loi bordel !

***

Victor plisse les yeux. Qu'est-ce qu'il s'était passé avec Amandine ? Il n'est au courant de rien et il a probablement loupé une information. Il parcourt à nouveau le journal, le feuillette. Les pages déchirées ! C'est évident que cette histoire est écrite sur les pages manquantes ! Ce serait donc Amandine qui aurait peut-être déchirée ces pages.

***

Amandine s'est approchée des robinets en silence, a mis ses cheveux derrière son oreille et s'est baissée pour boire de l'eau. Les deux filles l'ont dévisagé.

— Vous avez un problème ? a demandé Amandine en s'essuyant la bouche.

— On te voit plus avec Billie Mars, tu ne lui parle plus ?

— Plus tellement... Pourquoi ?

— Tu sais si c'est concret avec Victor ? On a le champ libre ?

— Je n'en sais rien... Et puis ça ne vous regarde pas !

— Je vais tenter mon coup avec lui, a dit une des filles en se dirigeant vers la sortie.

— Tu ne vas rien tenter du tout ! Si tu fous la merde entre eux, je te choperai ! s'est exclamée Amandine.

J'ai levé les sourcils, Amandine était en train de prendre ma défense.

— Tu ne vas rien faire du tout, a répondu la copine de la fille.

— C'est ce que tu penses ?

Amandine s'est approchée de la fille en faisant claquer ses talons sur le carrelage des toilettes. Elle s'est arrêtée à quelques centimètres des filles en les balayant du regard.

— Fais du mal à Billie... Et tu regretteras d'être venue au monde. Tu peux me croire, a sifflé Amandine sur un ton menaçant.

J'ai failli glisser du siège des toilettes, Amandine faisait flipper. Elle était prête à tout.

— Je ne lui parle peut-être plus... Mais elle reste ma meilleure amie et la fille la plus intègre que je connaisse... Alors... Garde tes distances avec Victor !

L'une des filles entraîne l'autre hors des toilettes en faisant une mine de chien battu. Elles sont parties en se heurtant presque à la porte et Amandine les a fixées jusqu'à ce qu'elles disparaissent au loin dans la cour. Elle s'est tournée vers le miroir, a arrangé sa coupe de cheveux et retouché son maquillage.

— Bande de pétasses, a-t-elle marmonné.

J'ai posé ma main sur la porte de la cabine et je l'ai poussé. Je suis apparue face à Amandine qui a presque sursauté en me voyant. Elle était prise au dépourvu et était loin de se douter que j'étais planquée et que je l'entendais. Nous sommes restées silencieuses, on s'est regardé un instant, puis elle m'a souri.

— Je ne te laisse pas tomber, petite tête, m'a-t-elle dit. Qu'est-ce que tu foutais dans les chiottes ? Tu pleures ?

Elle s'est approchée de moi, a pris mon visage dans ses mains et a essuyé les larmes séchées sur mes joues. Elle m'a regardé dans les yeux, je lui ai dit que je voulais arrêter de fréquenter Victor.

— Il t'as fait quoi cet enfoiré ? m'a-t-elle demandé sur un ton coléreux.

— Rien ! C'est juste moi... Je ne veux pas... Je ne veux plus...

— Qu'est-ce qui t'as fait changer d'avis ?

— Je ne veux pas m'engager, ai-je menti. J'ai peur.

J'ai été crédible. Pour une fois. Elle m'a cru. On est sorti des toilettes ensemble puis on a passé le reste de la journée ensemble. J'ai tenté d'occulter ses agissements car je ne voulais pas que cette histoire entrave notre amitié.

***

Mais quelle histoire, bon sang ? se dit Victor. Il veut en savoir plus mais il n'en a pas les moyens. Il reprend sa lecture et comprend enfin pourquoi Billie a été silencieuse pendant quelque temps.

La peur paralyse les gens, les empêche de vivre ou de faire des choix. Mais Billie a fini par succomber, car rien n'est plus fort qu'un cœur amoureux qui bat sans relâche. Elle aimait Victor, et Victor l'aimait. Rien ni personne ne pouvait les séparer, pas même la mort.

Dead Girl's DiaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant