33 : La vie n'est pas une ligne droite

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20 novembre

Voyage à Londres - Jour 6

C'était impossible pour moi de raconter la suite du voyage, tant il s'est mal passé. Je reprends le récit au moment du retour. Amandine ne m'adressait plus la parole, alors que c'était elle qui déconnait. Barbara pensait à une énième dispute, cela faisait un moment qu'elle avait arrêté d'essayer de comprendre les conflits entre nous. Heureusement, il me restait Victor. On était plus amoureux que jamais. Rien ne pouvait nous séparer, à part peut-être la mort. Non, même pas. Je reviendrais le hanter si je mourais demain.

Avant de monter dans le train, j'ai offert des fleurs à ma famille d'accueil, j'y tenais. Nous avons quitté Londres comme on l'a rejoint, c'est-à-dire, sous la pluie. Je me suis assise proche de la fenêtre, les jumelles de « Shining » me faisaient signe de la main, puis le train est parti. On a repris le tunnel sous la Manche, enfin, le tunnel dans le noir. J'étais toujours autant frustrée de ne pas voir les poissons nager.

On a regagné Wimereux assez rapidement, le retour a été plus rapide que l'aller. En descendant du bus, je me suis jetée dans les bras de ma mère. J'ai regardé derrière moi avant de partir avec elle, la mère d'Amandine discutait avec Monsieur Morana. Si elle savait ce que sa fille faisait avec lui, elle s'évanouirait.

Dans la voiture, ma mère a mis un album des Shards of Heart pour me faire plaisir. Je ne disais pas un mot, je ne chantais pas, j'étais triste.

— Que se passe-t-il chérie ? Le voyage s'est mal passé ? m'a-t-elle demandé.

J'avais les larmes aux yeux, mais je me suis retenue de pleurer, j'attendais de rentrer et de me réfugier dans ma chambre. Emma tapotait mon épaule depuis les sièges arrière.

— Tu m'as manqué, Billie, a-t-elle dit.

J'ai caressé sa main potelée puis j'ai regardé le paysage défiler à travers ma fenêtre. Ma mère n'a pas posé plus de questions.

Je suis rentrée, et j'ai pleuré. Tellement que j'en étais desséchée. J'ai décidé d'aller me ressourcer à mon bunker. Cela faisait un moment que je n'avais pas mis les pieds là-bas, j'avais laissé plein de croquettes à Venom pour qu'il tienne une semaine sans moi. Il s'est probablement nourri aussi de rats et de souris en mon absence, mais ce n'était pas ce qu'il y avait de meilleur au menu.

J'ai toqué à la porte où se trouvait le cœur gravé et je l'ai poussé. Venom m'a accueilli en me sautant sur les épaules. J'ai passé le restant de la soirée à lire. J'avais besoin de m'évader. Vraiment besoin.

J'ai lu jusqu'à tard le soir, je n'ai pas regardé l'heure, ma mère m'avait téléphoné pour dîner, mais je n'avais pas vu. Il y avait trois appels en absence, j'allais me faire engueuler en rentrant, c'était évident. Je n'avais pas envie de rentrer et d'affronter ma mère. Quand elle se met en colère, tous aux abris.

***

Le téléphone de Victor sonne, c'est Madame Mars. C'est étonnant. Pourquoi appelle-t-elle Victor ? Peut-être y a-t-il du nouveau concernant le meurtre de Billie ? Le jeune homme s'empresse de décrocher.

— Lorraine ? demande-t-il.

— Victor, j'ai une nouvelle à t'apporter. Rien à voir avec le meurtre de Billie, ou peut-être que si, en fin de compte.

— La voix de Lorraine tremble légèrement, comme si elle était secouée, choquée et perdue. Le cœur de Victor accélère. Que se passe-t-il ?

— Eugène est mort.

— Pardon ? s'étrangle Victor.

— Il a été retrouvé pendu dans sa chambre.

Victor est choqué, il ne sait pas quoi répondre. Il ne sait pas si c'est une bonne ou une mauvaise nouvelle. Eugène Mars était un monstre, le monde se portera sans doute mieux sans lui, mais, ce geste désespéré est tout de même la preuve qu'un peu de sensibilité résidait dans cet homme.

— Il a laissé une lettre, a dit Lorraine.

— Qui disait ?

— On aura une copie, mais la police m'a dit dans les grandes lignes ce qu'elle disait. Eugène était malheureux, il regrettait ce qu'il a fait, ce qu'il nous a fait. Il avoue qu'il n'aurait jamais touché à un seul cheveu de Billie et qu'il trouvait normal qu'il soit soupçonné au vu de ses agissements. Il était aussi tombé gravement malade, un cancer du pancréas je crois, et visiblement, un papier du médecin l'atteste. Il allait mourir. Il a aussi écrit que rien ne pourra lui rendre sa fille, que sa vie s'annonçait comme une longue descente aux enfers et qu'il préférait se tuer lui-même avant que la vie ne le fasse. Victor, je n'arrive pas à croire que ce sont les mots de mon ex-mari. Jamais il n'avait dit qu'il regrettait ce qu'il a fait.

— On a tous une âme et une conscience. Tôt ou tard, il allait se rendre compte du mal qu'il a infligé au monde et à ceux qu'il aimait. La culpabilité tue, Lorraine. On ne peut pas vivre en portant ce poids sur les épaules. Eugène Mars était un monstre, et je crois qu'il a fini par le comprendre.

Victor a discuté encore un peu avec Lorraine, puis a raccroché. Il est resté silencieux, une nausée le guettait. Il imaginait le père de Billie, l'homme qu'il a aperçu aux funérailles de celle-ci, se balancer au bout d'une corde. Sa copine qui le trouve et hurle de panique, ne sachant pas quoi faire, n'arrivant même pas à le détacher avec ses maigres bras. Il imagine Eugène, mort, les yeux exorbités, le visage et les lèvres bleus. Une vision qu'on voit seulement dans les films d'horreur ou les films policiers.

Pourtant, tout cela était la réalité. De la mort de Billie jusqu'à celle de son père, tout était vrai. Le monde est sans pitié, l'humanité est touchée par un virus qui semble se répandre de plus en plus. Le virus vibrant de l'hostilité. L'homme ne semble plus capable de vivre en paix avec lui-même, ni avec ses semblables. Chaque jour, de nouveaux règlements de compte ont lieu, des jeunes filles se font violer, des gamins se font enlever et séquestrer avant d'être tués. Le monde est dangereux, les hommes ne reculent devant rien pour arriver à leur fin, c'est donc ça que l'humanité est devenue, un peuple plongé dans la violence, et qui s'entretue.

Le récit de la vie de Billie commence à rendre fou Victor, il désespère en sentant que cette enquête touche à sa fin, et qu'il n'a toujours pas mis la main sur le ou les coupables. Mais, son amour pour elle l'aidera à surmonter cette épreuve, et le guidera, telle une lumière dans un long tunnel sombre.

***

Lorraine,

Je décide de te dédier mes derniers mots. Tout d'abord, je voudrais commencer par des excuses, même si elles ne suffiront certainement pas pour tout le mal que j'ai fait.

Maintenant, je me rends compte de ce que j'ai fait, et je regrette, sincèrement. Mais le mal est fait et il est trop tard pour se racheter, et de toute manière, je n'en ai pas envie après ce qui est arrivé à Billie. Je suis désolée de vous avoir fait autant de mal, à vous, les femmes de ma vie. De vous avoir fait peur, alors que mon rôle était de vous protéger. Je sais qu'aujourd'hui vous me détestez toutes les trois, enfin, toutes les deux maintenant. Je suis un monstre, j'en ai conscience maintenant, et je mérite ce qui m'arrive. La vie m'a puni pour mes actes.

Il y a quelques semaines, j'ai appris une très mauvaise nouvelle. Je suis malade, Lorraine, et je vais mourir. Un foutu cancer du pancréas, je l'avais bien cherché en même temps.

Je décide de mettre fin à ma vie, avant qu'elle ne le fasse à ma place. Je vais rejoindre Billie, en espérant qu'elle m'accepte sur son nuage, même si j'en doute.

Je t'ai toujours aimée, Lorraine, même si je sais que tu en doutais, je t'ai toujours aimée. Désolé d'avoir détruit cet amour, si pur était-il au moment de notre rencontre. Adieu.

Eugène

Dead Girl's DiaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant