Dead Girl's Diary

25 : Tu es perdu, joli garçon ?

Victor redresse le col de sa chemise puis jette un dernier regard à la tombe fraîchement creusée de Billie. Il prend son téléphone, envoie un message groupé aux amis de Billie. Plus il se rapprochait d'eux, plus il espérait trouver des indices. Que la porte de la vérité s'ouvre devant lui, l'accueil à bras ouverts et panse sa plaie béante.

Il pianote sur son écran : « RDV à la Forteresse de la Pointe de la Crèche dans 1 h ».

Victor regarde autour de lui puis sort du cimetière, les mains dans les poches. Le ciel prend une teinte rose, la lune est visible, et il sait que parmi les étoiles, il y a celle de Billie qui brille plus que les autres.

Victor commande un Uber qui le conduit et le dépose à son point de rendez-vous.

La voiture se gare aux abords des roches, Victor descend après avoir payé le chauffeur et marche entre les pierres en écoutant le bruit des vagues, et en regardant la mer fouetter les parois rocheuses.

Peu de temps après, Victor voit Darell marcher avec un sac à dos posé négligemment sur l'épaule. En s'approchant, Victor entend du bruit à l'intérieur de ce sac, comme du verre qui s'entrechoque. Darell arrive face à Victor, et pose son sac à ses pieds. Il l'ouvre et le jeune homme sent son cœur battre. Victor regarde Darell, et une chose saugrenue lui passe par la tête : et si Darell était le tueur ? Après tout, Darell c'est le gars cool qu'on ne peut pas soupçonner. Mais par moments, les plus grands psychopathes sont aussi les plus discrets.

Darell plonge sa main dans son sac, Victor à peur qu'il sorte une arme. Il n'a plus confiance en quiconque, tout le monde est suspect, il ne faut jamais l'oublier et baisser sa garde.

Et si le tueur était seulement un fou qui passait par là ? Victor ne saura peut-être jamais qui a abrégé la vie de Billie. Si le coupable était un tueur en série, d'autres meurtres auraient été répertoriés dans la région. Non, il ne peut s'agir que d'une personne qui connaissait Billie, qui connaissait Victor. Une personne qui avait conscience de son acte. C'était quelque chose de prémédité, un règlement de compte.

Darell sort une bouteille de vodka. Victor se déteste d'avoir envisagé qu'il soit le tueur, car Darell aimait Billie, il l'aimait beaucoup. Il l'aimait peut-être un peu trop. Tellement qu'il aurait fini par la tuer, pour la garder pour lui. Mais cette théorie peut aussi rendre Victor coupable. Tout s'emmêle dans la tête de Victor.

Il secoue la tête, se racle la gorge et regarde la bouteille de vodka. Il la prend des mains de Darell qui s'assoit à côté de lui sur le rocher, et Seb se pointe suivi de près par Amandine et Barbara. Elles aussi sont suspectes, faut-il encore leur trouver un mobile. Victor a déjà celui de Barbara, depuis le début de l'enquête, cette théorie le hante, car elle est inexorablement plausible.

Barbara est tellement fascinée et subjuguée par ses romans qu'elle a transformé sa vie en histoire policière. Vu tout ce qu'elle lit, elle sait comment tuer quelqu'un, faire disparaître un corps, mais Victor ne s'attarde pas trop sur les théories la concernant. Si Barbara avait commis un meurtre elle l'aurait fait proprement, comme la mère de Billie qui passe son temps à récurer sa maison de fond en comble. Barbara sait comment se débarrasser d'un corps, elle l'aurait découpé, ou alors, elle l'aurait fait fondre, pour enfin jeter les restes dans la Manche, ni vu ni connu. Et on n'aurait jamais retrouvé Billie. Victor se demande si cela aurait été plus difficile à supporter. Ne pas savoir où se trouve une personne et dans quel état, est-il plus difficile que de la savoir morte ?

Amandine, quant à elle, Victor ne sait rien. Il peine à trouver une raison. Peut-être allait-il deviner cela en trouvant les pages manquantes du journal de Billie. En attendant, difficile de trouver un mobile pour la meilleure amie de la victime.

Victor décide de mettre son enquête de côté, il ne veut pas gâcher ce moment. Tout le monde se retrouve et s'assoit sur les rochers face à la mer. Victor pense à son rêve, à celui où Billie le fait tomber dans le vide, et il ne veut pas qu'il devienne réalité. Des gravures décorent la caillasse, Victor fixe un endroit sur lequel est écrit : V + B. Il passe sa main sur ses yeux en prenant un verre que Darell a ramené. Il remplit un shot, puis deux, puis trois, et les tend à ses amis.

Chacun porte un shot de vodka dans ses mains en regardant Victor.

— J'aimerais qu'on rende hommage à Billie.

— À Billie ! s'exclame Darell.

Victor lève son verre en l'air en prononçant ces mots, ses amis font de même avant de boire d'une traite. Le liquide coule dans la gorge de Victor, et lui brûle l'œsophage avant de s'engouffrer dans son estomac. Il pose et cale son verre sur le rocher, puis lève la tête vers le ciel.

Jusqu'à la tombée de la nuit, ils sont restés ensemble, se rappelant des souvenirs en sirotant de la vodka. Victor s'enfonce dans une étrange mélancolie. La Lune brille au-dessus de lui, se reflète dans l'eau de la mer comme un miroir.

Il se lève en prenant son verre et le balance au sol, les débris rebondissent sur les roches. Victor hurle ce qu'il a au fond de lui, il exorcise sa douleur comme un démon. Amandine reste immobile dans le silence qui s'ensuit. Tout le monde se fige.

Le vent fait voler les pends de la veste de Victor, comme une voile sur un bateau. Il regarde l'horizon, et ses gémissements de tristesse brise le silence glacial du nord de la France. C'est alors que Darell s'avance vers lui, suivi de Seb. Ils tendent leurs bras et serrent leur ami. Barbara baisse la tête et les accompagne puis Amandine, après quelques secondes d'hésitations, étreint ses amis. Victor pose sa tête sur l'épaule de Darell en serrant dans ses bras ses amis.

Les lumières d'un bateau les illuminent, elles clignotent et l'engin se dirige droit en direction du port. Les voiles fouettent les mâts du bateau, le cliquetis berce les adolescents. Ils sont seuls au milieu des rochers, pleurent leur amie disparue trop tôt.

Victor redresse la tête.

— Je me rends compte, en lisant ce qu'elle a écrit... Que j'étais un acteur dans sa vie. Nous étions des figurants, car c'était elle l'héroïne. Elle a tout d'une héroïne de roman. Sa vie était une aventure. C'était son monde, et on ne faisait que vivre dedans.

— Mais un roman ne peut pas vivre sans personnages secondaires, ce sont eux qui construisent l'intrigue, en même temps que l'héroïne. L'héroïne n'existe pas sans eux. Et Billie vivait aussi à travers toi. Tu faisais partie de sa vie, tu étais le héros de sa vie, et tu le seras à jamais, répond Barbara.

— Billie attirait les ennuis comme un aimant, et cela malgré elle. Sa vie était chaotique, sa mort était déjà probablement écrite pour donner un autre tournant à notre propre vie. En mourant, elle a fait de toi le nouveau héros de l'histoire. Tu résoudras l'énigme, et on t'aidera, continue Seb.

Victor se libère des bras de ses amis et avance vers le bord de la falaise. Il regarde la surface de la mer, la pointe des rochers qui dépasse de l'eau. La mer est calme ce soir, les vagues ont disparu, cédant leur place à des petits clapotis discrets.

Victor est déterminé, mais son enquête lui donne du fil à retordre. Il a l'impression que le coupable est parmi les gens qui l'ont serré dans ses bras et cela l'obsède. Il jette un œil, et regarde chaque visage dans leurs détails, espérant dénicher leurs secrets. Il guette chaque ride sur chacun des visages, une ride qui témoignerait d'une inquiétude, une goutte de transpiration qui témoignerait d'un stress, la peur d'être démasqué. Mais Victor ne trouve rien. Il est perdu, et se demande s'il réussira à arriver à ses fins. Il regarde le large avec l'impression que la mer va le balayer et l'avaler.

Vivre sous cette pression devient terrible. Réussira-t-il, un jour, à accepter que Billie ne reviendra jamais ? Victor à l'impression de ne plus être à sa place, il a l'impression d'errer comme un spectre malheureux, il ne sait plus où il se trouve. Probablement dans une faille temporelle où on lui a retiré celle qu'il aimait.