18. Seigneur draconique

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Debout devant le grand chêne, Kifellorit étudiait la fêlure du cristal. Son cœur rougeoyant palpitait toujours. Il semblait ressoudé, ou en partie du moins. Ne demeurait qu'une ligne pour tout souvenir, pour toute cicatrice.

Kifellorit tâta son torse, à l'endroit où il avait eu mal quand le ravageur avait frappé le cristal. Il avait senti sa chair se déchirer, ses organes s'embraser et ses os se broyer dans la chute. Son crâne avait bourdonné avec autant de puissance que si le donjon tout entier rugissait à ses oreilles. Sur le moment, Kifellorit avait vraiment cru que son corps allait imploser, qu'il allait mourir. Mais désormais, il n'éprouvait qu'un vague élancement, enveloppé de silence.

Son corps s'était brisé en même temps que le cristal, le cristal s'était réparé en même temps que son corps. Lépiota avait vu juste : le donjon, le cristal et lui ne faisaient qu'un. C'était à cause de ce sort, probablement. Celui qu'il avait récupéré au mystérieux saltimbanque et qu'il avait lancé au moment de s'installer dans ces souterrains. Quand il avait sacrifié ce bandit, il avait donné vie au donjon.

Kifellorit se retourna.

Samantha, Ælys et Lépiota lui souriaient. Toutes les trois se tenaient assez près pour s'étriper, mais aucune ne témoignait d'animosité. Elles s'étaient réconciliées. Ou, au moins, elles se supportaient.

Lily louvoya entre elles, puis se posa sur l'épaule de Kifellorit.

— Nous avons réussi la mission, Seigneur Dragon ! Samantha est de retour et tous les prisonniers ont été escortés jusqu'à Flambourg pour retrouver leurs familles.

Samantha darda sur Lépiota un regard brillant d'étoiles.

Ælys frappa le sol de la hampe qu'elle tenait dans sa main. Son geste eut pour effet de déployer le tissu déchiré qui faisait office d'étendard. Kifellorit put admirer la reproduction du symbole imprimé sur son torse, à l'entrée des souterrains et dans le cœur du cristal.

Le blason du donjon.

— J'ai parlé en ton nom, Kifellorit, déclara Ælys. Je me suis assurée que tout un chacun comprenne que c'était toi qui agissais à travers moi. Que tu es leur sauveur.

— J'en ai profité pour conduire Ælys devant la direction de Forgeame, poursuivit Samantha. Ceux qui doutaient encore qu'elle était en vie ont pu constater de leurs yeux que le rapport de Conrad était erroné. Ils l'ont déchiré et Ælys a pu écrire le sien.

— Apparemment, tu serais un kobold hors du commun, susurra Lépiota.

— J'ai dit la stricte vérité d'un point de vue objectif, la coupa Ælys en se crispant. Tu es un kobold hors normes du fait que tu dépasses la taille standard, que ta queue est plus développée et que tu es doté d'ailes. Et que tu vis seul.

Kifellorit grimaça à ce mot.

— Seul ?

Il fit un tour sur lui-même pour observer son œuvre. Une forêt souterraine qui renaissait de la destruction. Des oiseaux, des reptiles et des petits mammifères qui réintégraient progressivement les lieux. Une fée amanite, une gobeline discriminée, une elfe déshéritée et une arachnéa mal considérée qui avaient trouvé un foyer. Des confrères qui portaient sa voix et son combat au-delà du donjon. Kifellorit était tout, sauf seul.

— Je veux dire par là que tu ne fais pas partie d'une tribu de kobolds, expliqua Ælys. Mais la guilde de Forgeame a bien compris que tu composais quelque chose de bien plus grand. Tu es un maître de donjon.

— Un cœur de donjon, ronronna Lépiota en formant un cœur avec ses doigts.

— Un chef de famille ! fanfaronna Lily.

Au cœur du donjonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant