7. Amitié féerique

42 3 0
                                    

Lily aimait bien Ælys. À vrai dire, elle aimait toutes les créatures vivantes, même celles dont l'intelligence laissait à désirer comme les elfes et les kobolds.

Et ce n'était pas peu dire. Cela faisait des semaines que, la nuit tombée, ses deux amis se réunissaient dans la chère et tendre serre de Lily. Et pas pour y cueillir des pâquerettes. Parfois, ils se jouaient à se battre comme des brutes, et Lily regrettait d'être trop chétive pour participer. D'autres fois, ils vidaient des bouteilles de jus de raisin que la gentille dame envoyait à Kifellorit – d'ailleurs, le messager n'était pas venu hier, c'était pourtant jour de livraison.

Tant mieux, en fin de compte. Lily n'aimait pas du tout quand le seigneur Kifel et Ælys buvaient. Ils beuglaient et s'esclaffaient sans raison. Leurs voix changeaient de timbre et ils agissaient bizarrement, si bien que Lily ne les reconnaissait plus. Kifel n'était plus dur et froid, il allait jusqu'à distribuer des embrassades à l'elfe. Et Ælys n'était plus gentille et attentionnée, elle en oubliait jusqu'à l'existence de Lily.

— J'espère que vous allez ramasser vos bouteilles, martelait la fée. Vous ne voyez pas comme ça casse l'harmonie naturelle du paysage ? Eh, dites, je vous parle ! Vous m'entendez ?

— Calme-toi, Lily, ricana le seigneur Kifel. Tu devrais gober tes champignons hallucinogènes, là, que tu fais pousser avec la magie. Ça te détendrait.

— Tu veux parler de mes vesses-de-loup ?

— Fesses de loup ? répéta Ælys. Hahaha, elle a dit fesses !

— Toi aussi tu gwo... éructa-t-il. Tu l'as dit.

Alors que le kobold, hilare, s'apprêtait à jeter une poignée de lichen à la figure d'Ælys, Lily surgit devant les naseaux. Elle lui administra un coup de pied qui lui fit l'effet d'une pichenette.

— Ça suffit, maintenant ! gronda-t-elle. La consommation abusive de jus de raisin, ça se fait en dehors de ma serre.

Le kobold fronça les sourcils. Il se redressa de toute sa stature, en s'appliquant à ne pas tanguer.

— Tu me donnes des ordres ? Je peux savoir pour qui tu te prends ?

— Pour la marraine la bonne fée de ta tribu, Seigneur Kifel, débita la fée au garde à vous.

Lily savait qu'il demeurait hiérarchiquement et physiquement supérieur à elle. Pourtant, il ne rétorqua pas. Elle le connaissait assez pour prévoir qu'il se glacerait à la mention du mot « tribu ». Il en était de même pour « famille », « équipe » et tous les dérivés du mot « solitude ».

— Y'a plus de tribu ! brailla-t-il au bout d'un moment. C'est trop de responsabilité pour un seul kobold. Pas le droit à l'erreur. Être à la hauteur des attentes des autres, tenir à distance les intrus, protéger les Oposs Kethend et venger ceux qu'on n'a pas protégés, surveiller que l'amanite ne se fasse pas manger et surveiller qu'elle ne tue personne par accident... Pourquoi autant d'effort alors qu'il n'y a plus personne ?

Lily n'y comprenait rien du tout. Son seigneur gesticulait sans s'adresser à quelqu'un en particulier. À moins qu'il ne s'amuse avec des feux follets*.

Lily en avait rencontré une fois. Elle se souvenait que ses amis fées pétales s'étaient tétanisés d'engouement, et elle ne les avait jamais revus, probablement parce qu'ils étaient allés vivre avec les feux follets. Néanmoins, elle s'était promis d'essayer d'entrer en communication avec ces entités brumeuses, un jour futur.

— Moi aussi, j'ai fait face à de grandes responsabilités... murmura Ælys sur un ton étonnamment posé.

Le Seigneur Kifel s'immobilisa et toisa l'elfe. Lui débout et elle assise, ils faisaient la même taille. Lily fut soulagée de retrouver le kobold hautain qu'elle connaissait.

Au cœur du donjonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant