11. Kobold draconique

24 1 0
                                    

— Seigneur Dragon ! s'écria Lily d'une voix qui débordait d'émotions. Seigneur Dragon, tu as enfin mué !

Kifellorit n'entendit pas la fée. Il ne voyait plus qu'elles. Ces voiles immenses accrochant le vent, solides comme des plaques métalliques, fines comme des feuilles d'argent, presque blanches. Hésitant entre sourire ou pleurer devant tant de beauté, le kobold les admirait, hébété, sans parvenir à croire que ces ailes de dragon étaient les siennes.

Il n'osait ciller de peur que le rêve s'estompe. Finalement, il effleura la membrane de peau, lisse et douce, la tâta, la pinça, la tira plusieurs fois et vint à l'évidence qu'il n'était pas victime d'un enchantement.

— J'ai mué, lâcha-t-il dans un souffle.

Son sang éveillé de dragon lui avait déjà fait grâce d'une queue surdéveloppée. Aujourd'hui, il lui offrait des ailes. Les kobolds qui pouvaient se targuer d'avoir l'un ou l'autre se comptaient sur les griffes d'une patte ! Si seulement sa tribu était encore de ce monde... Ses confrères l'auraient adulé, son chef aurait gravé son nom dans l'histoire des Oposs Kethend et ils auraient festoyé des jours entiers.

— Oui, tu as mué, c'est ce que j'ai dit, s'écria la voix lointaine de Lily. Eh, Seigneur Dragon, tu m'entends ? Coucou, c'est moi, je suis revenue ! Lépiota, rapproche-toi, s'il te plaît. Je crois qu'il est encore un peu sonné.

Kifellorit leva enfin les yeux vers le plafond. L'arachnéa, sur laquelle était juchée la fée, descendait le long de la paroi miroitante de soie.

Il avait passé des mois à attendre Lily et à se morfondre de sa solitude, et maintenant qu'elle était là, ça lui était presque égal. Il n'avait qu'une seule chose en tête.

Ses ailes. Ses ailes de dragon.

Une démangeaison d'un nouveau genre le fit frissonner. Il n'avait pas envie de s'arracher les écailles, cette fois, mais de faire travailler ses muscles. Mue par un instinct profond, le kobold crispa ses poings, contracta son dos, déploya ses ailes et battit l'air.

Une tornade balaya la poussière et fit grincer les branches du chêne. Les feuilles mortes tourbillonnèrent autour du cristal tandis que Lily s'accrochait de toutes ses forces au dos de l'arachnéa pour résister à la tempête.

— Seigneur Dragon, tes ailes ne sont pas encore sèches, tu ne pourras pas essayer de voler avant plusieurs heures.

— Alors je n'ai que quelques heures pour m'échauffer, rétorqua-t-il.

— Seigneur Kifel, s'il te plaît, arrête ça !

Un rire incontrôlable émana de la gorge du kobold alors qu'il redoublait d'efforts. À chaque battement d'ailes, ses mouvements étaient plus puissants, plus précis et mieux coordonnés. Il volerait. Il ne serait plus contraint de s'enfoncer dans les profondeurs de la terre, il pourrait s'élever vers les cieux.

— Kifel, stop !

La tempête cessa aussitôt que Kifellorit s'immobilisa, frappé de stupeur. Où étaient passées les notes de joie, de surprise ou de peur qui façonnaient habituellement la voix de Lily ? Depuis quand était-elle aussi autoritaire ?

Kifellorit l'aurait remise à sa place sans états d'âme, à supposer qu'elle lui accorde un minimum d'attention. Mais Lily comme l'arachnéa étaient toutes deux tournées vers un creux de l'arbre, près du cristal. Tout en chuchotant, la fée montrait du doigt quelque chose qui échappait au kobold.

Intrigué, Kifellorit s'approcha non sans injurier les branches qui se prenaient dans ses ailes. Puis, malgré son ombre qui recouvrait le creux, il découvrit ce qui accaparait Lily : entre les feuilles mortes, l'œuf métallique s'était percé d'un trou.

Au cœur du donjonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant