2. Fondation de kobold

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Entre monts et forêts, un grand et terrible dragon creusait sans relâche.

Enfin, « grand »... c'était relatif. Pour les insectes qui fuyaient devant sa pioche, Kifellorit relevait du titan au sommet de sa puissance. Pour les autres races humanoïdes, il était un kobold dangereusement sous-estimé. Et pour les kobolds, il s'approchait d'une idole du fait de son sang éveillé de dragon.

Kifellorit mobilisa toute sa force pour planter sa pioche le plus profondément possible. Il délogea une grosse pierre et la fit rouler dans le tunnel pour l'extraire.

Encore quelques mètres et il pourra élargir la galerie afin de créer une chambre souterraine.

Ses écailles étaient incrustées de terre, ses griffes cassées, ses épines émoussées, ses muscles endoloris, mais il persévérait. Le milieu argileux ne résistait pas à ses outils enchantés et à son talent d'artisan. Il creusait l'entrée de la caverne, creusait et creusait encore, de l'aube jusqu'au crépuscule, avec le soleil ou la pluie, la rosée ou les bourrasques. À force de dormir dans la boue, son sarouel tenait plus du haillon que du vêtement. Ses pieds nus s'étaient renforcés de corne. Il buvait de l'eau terreuse et était prêt à manger n'importe quoi pourvu que ça lui octroie la force de travailler.

Kifellorit invoqua ses trois serviteurs et leur ordonna de nettoyer son chantier. Il ne se questionna pas sur la façon dont ils s'y prenaient pour soulever les pierres avec leur consistance spectrale. Tant qu'ils travaillaient...

— Espèces de gnomes ! s'emporta-t-il en apercevant le résultat. Je vous avais demandé de déblayer, pas d'entreposer les débris à la sortie du tunnel ! Je suis bloqué à l'intérieur, maintenant, c'est malin.

Fourbu, le kobold essuya sa gueule d'une main. Ses serviteurs n'avaient pas la moindre jugeote. Il savait qu'il devait être prudent avec l'ironie depuis que, sur le coup de la colère, il leur avait sommé d'aller se pendre. Quelques minutes plus tard, des formes translucides, vaguement humanoïdes, se balançaient au bout d'une corde. Ce jour-là, la panique s'était répandue dans toute la tribu.

— Non, vous n'êtes pas malin, se reprit Kifellorit en accentuant chaque mot. Vous. Êtes. Définitivement. Stupides. Maintenant, toi transporter pierre au loin, loin, très loin de l'entrée du souterrain !

Il avait hurlé la dernière phrase et il regretta lorsque ses propres tympans se déchirèrent sous l'effet de la résonance. Le spectre prit une pierre – une seule, au grand désespoir du kobold – et traversa le mur d'éboulis.

— Toi, héla-t-il à l'adresse du deuxième spectre. Tu vas cueillir des baies pour mon repas du soir. Des baies comestibles, hein. Comestibles pour un kobold d'âge mûr. Et ne te contente pas de les arracher, tu les ramènes ici. Et toi, Numéro Trois, façonne-moi de la vaisselle. Assiettes, bols, verres, couverts... Utilise l'argile d'ici et pas d'ailleurs.

Les serviteurs s'exécutèrent. Le premier ne revint jamais – il cherchait probablement encore la destination nommée « loin » – et Kifellorit dû balayer l'entrée lui-même à l'aide de sa queue. Le second récolta exclusivement des mûres et le troisième fabriqua une quantité de vaisselle qui aurait pu alimenter quatre tribus de kobolds. Kifellorit les injuria toute la soirée, comme s'ils avaient la capacité de le comprendre.

— Ne faites pas cette tête, finit-il par dire aux spectres impassibles. Je ne vous en veux pas, au fond. Ce n'est pas votre faute si vous n'avez pas de cervelle. Vous m'avez quand même fait gagner du temps, je dois l'avouer.

Le temps, c'était du travail ; et le travail, c'était tout ce qu'il restait à Kifellorit. Le travail et le cristal.

Il n'avait même plus sa liberté.

Au cœur du donjonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant