Chapitre 21

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Justinien se tourna vers le canyon et vit ses compagnons s'asseoir et se reposer. Ils étaient saufs et cherchaient déjà un endroit où camper hors du dangereux ravin. Il invita Merle à les rejoindre pendant qu'il s'expliquait :

— Je t'ai trouvée à la lisière des vapeurs, Merle. Tu étais endormie et j'ai essayé de te réveiller. Mais tu sommeillais profondément et paisiblement. J'ai appelé autour de toi, hélas personne ne me répondit. Il me semblait plus prudent de t'éloigner du brouillard.

« À ce moment, je pensais que tu étais une fille du village que je venais de traverser. Comme tu ne présentais aucune blessure physique, je ne m'étais pas douté une seule seconde que tu avais été attaqué par des monstres des vapeurs. Je t'ai donc ramené sur mon dos jusqu'aux premières maisons. »

« À ma grande surprise, personne ne te connaissait là-bas et je t'ai veillée avec d'autres habitants. Tu t'es réveillée au bout de trois jours sans te rappeler tout à fait de ce qu'il s'était passé. Le temps de retourner aux vapeurs, celles-ci avaient disparu comme elles étaient apparues. »

— Oui, balbutia-t-elle, et quelques souvenirs sont revenus à ce moment-là : ceux que mes parents m'avaient amenée avant que je ne les perde de vue.

— Je pensais que tu t'étais écroulée de fatigue après avoir trouvé un endroit sûr. C'était pour moi le plus logique, déclara le médecin.

« Il semblerait que je me sois trompé une deuxième fois. Tu ne t'es peut-être pas endormie en sortant des vapeurs... »

— Non, je suis morte et je me suis réveillée peu de temps hors des brumes, compléta l'adolescente.

— Oui, c'est possible. Je suis désolé, Merle.

— Mais normalement, j'aurais dû disparaître, Justinien ! C'est toi qui m'as dit que tout ce qui périssait dans les vapeurs de Ranchœur disparaissait à tout jamais des ramures.

— Je crois que tu as eu beaucoup de chance en échappant aux prédateurs et que tu as réussi à t'extirper hors des vapeurs avant de succomber à tes blessures. Ton refrain n'était pas destiné à s'arrêter à ce moment, les cerfs ont repris tes vers quasiment de suite. Si tu étais restée dans les vapeurs... tu aurais définitivement disparu du brame.

— Mais... Papa... Maman ?

Justinien serra fort l'adolescente contre lui. Il n'osa lui dire le fond de ses pensées. Des pensées qu'il avait depuis longtemps déjà, mais qu'il n'aimait pas corroborer. Car dans cet endroit que les érudits appelaient vapeurs de Ranchœur, les créatures sont bien plus terribles que les aragnes. Elles prennent la forme des pires cauchemars pour aspirer le vivant et l'existant sans aucune pitié ni relâchement. Si Merle était parvenue à quitter le brouillard après une attaque c'était grâce à ses parents qui la sortirent de là... peut-être au prix de leurs propres refrains. Dans les vapeurs, ce qui mourrait disparaissait à tout jamais comme l'avait dit Merle. Ses parents étaient définitivement perdus, un souvenir irréversiblement oublié du brame.

Il essaya de retenir les larmes qu'il avait aux yeux, elles coulèrent sans qu'il puisse y faire quoique ce soit. Quelle chance cette petite avait eue dans son ancienne vie, quel malheur qu'elle s'en remémorât encore dans celle-ci.

***

— Les revoilà, annonça Ruben

Le prisonnier, la bramane et le rivois s'étaient abrités sous un promontoire rocheux qui dépassait du désert. La pierre penchée offrait un refuge qui les protégeait du vent cinglant.

— Nous sommes tous entiers, mais nous avons perdu une partie des sacs d'après ce que je vois... constata Justinien en soupirant. Heureusement, nous sommes tous en vie et avons encore un peu de nourriture, de quoi nous chauffer et-

Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant