Chapitre 32

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Ils s'étaient installés face à la maison en bois de Chosef, entre le verdoyant verger et la plage de fins graviers roses. Le soleil de l'après-Cime était toujours aussi teigneux. Une brise agréable passa entre les feuilles filiformes des filaos. À l'ombre de la véranda recouverte de panneaux de pandanus, le groupe apprécia immédiatement l'accueil local. L'astre se reflétait sur une eau vermeille, parfois orangée. Devant eux, un îlot dériva lourdement pour rejoindre un autre plus stable et agrandir la superficie de ce dernier. Les chaises craquèrent sous les fesses des invités de Chosef. Normal, ils s'enfonçaient dans les confortables sièges cannés après une harassante traversée qui avait comme démultiplié leurs poids. Maintenant qu'ils se reposaient vraiment dans cette atmosphère bienveillante, ils réalisèrent à quel point leurs membres étaient pesants, leurs muscles étaient raides et leurs articulations ankylosées. Plus que jamais nos chers arpenteurs devaient désormais écouter leurs corps et ceux-là réclamaient du répit depuis longtemps.

Chosef avait trois enfants : Suseline, Lilinotte et le petit Joan. Tous vivaient du bout d'île qui était recouvert en grande partie d'arbres fruitiers. Suseline tendit des gobelets et servit de quoi rafraichir les invités. C'était une préadolescente très coquette et très bien élevée. Justinien se demanda pourquoi son adolescente à lui ne lui ressemblait pas un peu. Un interminable soupir accompagna le discret glougloutement du breuvage opalescent qui coulait dans sa timbale.

— Ça, c'est une boisson de Castelbouchon. Vous m'en direz des nouvelles, ajouta Chosef en levant son verre. C'est mon voisin qui distille mes fruits sur le tanne à côté. Ça c'est un truc qui va vous revigorer de votre long voyage !

La liqueur anisée requinqua les arpenteurs, Merle plus que les autres. Tout de suite, ils accueillirent la chaleur qui se répandit dans leur corps, alors qu'une fraîcheur très agréable persistait en bouche. Justinien se lécha les lèvres, et s'étendit un peu pour profiter du temps clément de Bourgbouillon. Quant à Ruben, il crut qu'il allait tomber complètement à la renverse à la première gorgée. Merle ne sentait plus sa langue et resta par conséquent très sage. Léopoldine gloussa en reposant son gobelet vide pendant qu'Any s'endormait sur ses genoux. Enfin, Izak n'avait pas encore touché le sien...

— Il boit pas le jeune ? demanda Chosef un peu déçu. Oh attendez ! Joan, va chercher des abricots !

— Oh oui, des abricots ! pouffa Léopoldine en tapant des mains.

— C'est une bonne liqueur, je dois reconnaître, Chosef, ajouta Justinien en réajustant son équilibre.

La liqueur en question était bigrement tonique, bien plus que de raison. C'était exactement ce dont ils avaient besoin. Un remontant après cette semaine de marche dans les environnements les plus dangereux et les plus épuisants tant physiquement que mentalement. Bien sûr, il ne fallait pas en abuser, mais bon... « Après tout » se dit Léopoldine en tendant de nouveau son gobelet à un Chosef généreux et tout content de pouvoir partager le fruit de son labeur et celui de son voisin.

— Ben, le commerce est florissant à Portpoudrin, du coup on a beaucoup d'épices qui affluent. Vous sentez la saveur du curcuma à la fin d'une gorgée ? Goûtez-moi ces abricots. On les a cueillis ce matin même, ajouta-t-il en présentant la corbeille porté par le minuscule Joan. Ce dernier ressemblait comme deux gouttes d'eau à son père en modèle réduit, enfin encore plus réduit parce que rappelons-le Chosef n'était pas plus grand que Merle.

L'hôte croqua dans la pulpe avant de couper une tranche pour son fils qui s'assit à ses pieds. Le panier tressé passa entre les mains de tout le monde. Les fruits charnus, à la texture de satin, laissèrent un goût de surprise.

— Ils sont salés ces abricots ! dit Izak qui sortait de ses pensées moroses.

— Ben oui, répondit le petit Joan en engloutissant son quartier juteux.

Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant