Léopoldine se baissa immédiatement derrière un des imposants rochers et épousa sa forme en silence. À l'adresse des rivois, elle posa son index sur ses lèvres. Il ne fallait pas faire de bruit bien qu'ils soient tous en sueur après une course folle dans un sentier escarpé. Ne pas faire capoter leur traque alors qu'ils étaient si proches du but.
Perrault et Izak n'en revenaient toujours pas, ils étaient à bout de souffle, mais pas à cause de l'effort fourni. Justinien dut les forcer de se mettre à couvert en les attrapant par leurs cols.
Ils venaient de traverser la forêt, puis de grimper un flanc de montagne à quatre pattes, le groupe arriva jusqu'à une nouvelle clairière plus grande. Cette immense plaine herbeuse était clairsemée de ces énormes blocs de granit gris presque bleu et de fleurs blanches qui auraient pu passer pour un cimetière de géants. En regardant derrière eux, on pouvait découvrir la distance parcourue. Rivade était à une heure à pied de leur position, en contrebas de cette montagne qui s'élevait si haut dans le ciel. Au-dessus de la plaine où Léopoldine, Any, Justinien, Izak et Perrault se trouvaient, un nuage cyclopéen projetait une ombre menaçante sur la nécropole de colosses.
Toutefois, ce n'était pas cet épais nuage qui crachait son effet de clair-obscur sur les sépulcres naturels qui avaient bousculé les deux rivois. Non, c'était ce qu'il y avait à une trentaine de pas devant eux. Une sorte de... de « cassure » dans l'air à hauteur de nombril. Une brèche d'où coulait une lueur iridescente, scintillante et dansante : un pont de ramure, comme confirma Justinien à voix basse.
On aurait dit que le ciel s'était fendu à un endroit et laissait passer un filet de soleil telle une plaie ouverte. Un sifflement léger en émanait, mais on n'aurait su dire si le bruit venait de cet éclat aveuglant, de la faille ou d'au-delà. Là où la craquelure était plus écartée, on distinguait d'ésotériques variations de lumière. Comme quand on regarde la surface d'un sol brûlant en plein cagnard. D'ailleurs, la fissure elle-même ressemblait à un mirage. Elle n'était pas tangible, enfin n'avait pas l'air tangible. C'était plus une manifestation évanescente, vaporeuse et l'on aurait juré que cette ouverture pouvait disparaître si l'on soufflait dessus assez fort. Pourtant, ces bords pouvaient être si francs selon l'angle de vue des spectateurs, qu'il n'y avait aucun doute sur le fait que cette faille soit réelle et immuable.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Izak qui n'avait jamais vu ça.
— C'est compliqué à expliquer, répondit Justinien.
Léopoldine haussa les épaules et ajouta :
— Non, ce n'est pas compliqué.
— Si c'est compliqué, Léopoldine ! Pour des gens qui n'ont jamais eu l'occasion d'arpenter les mondes, c'est compliqué ! insista Justinien.
La magicienne fit une moue qui contredisait Justinien. Quant aux rivois, ils étaient perdus. Pont de ramure ? Arpenter les mondes ? Ils se tournèrent vers Léopoldine qui devait avoir des explications, puisque pour elle ce n'était pas si compliqué. La bramane se concentrait sur autre chose : la personne se tenant devant le pont !
En effet, un individu emmailloté dans une couverture grise faisait face à cet accroc dans l'espace. Il était à genoux contemplant lui aussi la faille extraordinaire. C'était un humain plutôt banal, trop banal même pour cette scène époustouflante.
— C'est un sorcier ? murmura Perrault en indiquant l'étrange étranger.
Léopoldine n'aimait pas ce mot, « sorcier ». On l'avait déjà appelée comme ça, il y a très longtemps. Les gens qui ne manipulaient pas la magie employaient de drôles de noms pour désigner les bramanes : sorciers quand ils étaient néfastes, magiciens quand ils étaient magnanimes, enchanteurs quand ils étaient pratiques, ensorceleurs quand ils étaient indésirables, envoûteurs quand ils étaient subtils, druides quand ils étaient incompris... Une fois même, on la traita d'aphérétique. Un souvenir qu'elle essayait d'oublier. Elle répondit à Perrault en faisant fi de ce mot tabou qu'il avait utilisé :
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Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]
FantasiDepuis toujours, Izak écoute avec attention les récits des étrangers de passage dans son village. Il a soif d'aventure, quelque chose le pousse à quitter son nid pour vivre sa propre vie. Justement, lorsqu'un groupe d'arpenteurs se forme devant ses...