Chapitre 50

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Les autres arpenteurs sur le ponton à proximité de leur navire se regardaient perplexes. Justinien les avait rejoints sans prononcer un mot. Peu de temps après, Izak arriva :

— L'Oratlas était complètement dérouté, ce qui est un comble pour sa fonction.

— Nous ne sommes pas plus avancés, je vous avais dit que cet individu n'était pas de confiance, acheva Ruben.

— Que fait-on alors ? demanda Merle à Justinien.

Ce dernier était absent. Il sursauta quand l'adolescente tira sur sa manche.

— Je ne sais pas, claqua-t-il sèchement.

— On poursuit ce qu'on avait décidé, rebondit Léopoldine. Nous allons prendre la mer pour aller à l'est et essayer de découvrir ce qui provoque la tempête. Puis nous reviendrons à Castelbouchon pour résoudre l'énigme du Chœur du Bouchon. Peut-être trouverons-nous de nouvelles pistes en chemin.

La bramane monta sur le pont du navire qui avait été réquisitionné afin de les emmener où ils désiraient. Léopoldine fut suivie de ses compagnons... Excepté Any ! La bastet n'était pas vraiment le genre d'animal à se mesurer au grand large. Et puis il y avait Lentii, un être majestueux au charisme aussi profond que le bleu de ses yeux.

En temps normal, sa maîtresse aurait été contre se séparer d'elle, toutefois elle préférait savoir sa meilleure amie dans l'enceinte du palais à surveiller la famille royale.

Alors que les aventuriers parcouraient le pont supérieur, Ruben rattrapa Izak pour lui murmurer :

— Et pour Saint-Espreux ? Tu as demandé à l'Oratlas ?

— Je pensais que tu ne lui faisais pas confiance, répondit le rivois.

— Oui, mais... Ruben était un peu déçu, il espérait en apprendre plus sur le chemin du retour.

— Je lui ai demandé quand même, le rassura son ami prévenant. Je lui ai aussi demandé s'il connaissait Pie et sa bande. En vain, il n'avait pas d'informations sur eux. Et quand je lui ai posé la question où aller pour se rendre à Saint-Espreux, il m'a dit : « Au Tometroa ».

— Au Tomtroi ? répéta Ruben. C'est quoi ? Une auberge ?

Izak haussa les épaules, il n'avait pas su tirer plus de renseignements de l'impénétrable Oratlas. Ruben quitta alors son ami en plongeant dans ses pensées. Il essayait de se remémorer des endroits qu'il aurait fréquentés ou qu'il aurait entendus pendant sa vie d'aspirant voleur. Des lieux qui pouvaient s'appeler Tomtroi ou Tometroa ou... peu importait son orthographe finalement.

L'équipage était très fringant, bien nourri et avec toutes leurs dents. Les matelots firent une révérence exagérée à l'approche des passagers. Ces derniers embarquaient sur une superbe caravelle. Au début, Léopoldine ne pensait pas qu'un tel vaisseau était nécessaire, cependant la princesse Melomia aimait bien la forme des voiles, c'était « joli » selon ses termes. Et comme le capitaine fut grassement payé par la famille royale, les aventuriers se convainquirent qu'ils devaient être dignes du bâtiment.

Au moment du départ, Izak comprit que la mer n'était pas juste un grand lac. C'était l'immensité, la liberté, mais aussi la fureur d'une nature indomptée. Le fier navire affrontait la Baie-Adossée avec bien plus de bravoure que le rivois qui ne s'éloignait pas du mât central. L'estomac légèrement pris d'assaut par la houle. L'équipage en revanche était à l'aise. Chacun avait son rôle et exécutait ses tâches avec assiduité.

Comme ils partirent tard, la nuit tomba et l'animation du pont se calma également. On voguait à une allure plus lente l'Heure-Carillon révolue. Le navigateur se repérait aux constellations pour ne pas dévier de son cap. Le ciel parfaitement dégagé était strié d'est en ouest par la Rivière aux échos, titanesque gisement de minerai pétillant dans le lointain. En ce début de soirée, l'Esquif précédait l'Aïeul dans le schéma zodiacal du firmament. Toutefois, la caravelle se basait sur un tout autre système stellaire, celui de Castelbouchon. Merle adorait découvrir les nouvelles étoiles propres à chaque monde des ramures. Elle aurait aimé mémoriser toutes ces constellations uniques qu'elles croisaient au cours de ses périples avec le médecin itinérant. Alors quand le capitaine la laissa regarder sa carte céleste, l'apprentie se saisit de la longue-vue pour comparer le parchemin à la voûte cosmique, entrecoupée de « whoua » et de « ho ». La proue perçait les flots sans effort et le navire progressait toujours plein est. Ou plus précisément vers l'Île Creuse.

Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant