Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]

Chapitre 3

- Justinien... Justinien...

Merle secoua vigoureusement son tuteur encore endormi. Le livre posé sur sa poitrine intitulé « Petit bréviaire du gentil homme illustré » glissa discrètement sur le drap puis avec plus de fracas jusqu'au plancher poussiéreux. Il sursauta alors.

- Justinien, je crois qu'il y a un problème, chuchota l'assistante.

- Quelle heure est-il ? demanda Justinien en bâillant à se décrocher la mâchoire.

- Je ne sais pas, l'Heure-Passage sans doute, mentit Merle qui était au fait que le soleil n'avait pas émergé de l'horizon. Barth, poursuivit-elle pour rediriger la conversation, il n'est toujours pas réveillé !

- C'est encore tôt, dit alors Justinien en remettant la couverture sur lui et en s'enfonçant doucement mais sûrement dans le lit qu'il avait loué dans la seule auberge de Rivade.

Merle retint le chaud duvet quand Justinien rouvrit les yeux et fixa son apprentie :

- Attends. Comment ça ? Comment sais-tu que Barth n'est pas réveillé ? demanda-t-il en dévisageant l'adolescente.

- Heu je suis partie le voir tout à l'heure, avoua-t-elle.

Justinien se redressa et, bien qu'embrumé par les vapeurs tenaces du sommeil, lança un regard perplexe à son assistante.

- Enfin, Merle, il ne dort même pas dans cette auberge. Il est chez-

- Chez Perrault, oui ! interrompit-elle son mentor en bondissant. Oui, ben il n'est pas encore réveillé, c'est bizarre, non ? Il devrait être pressé de rentrer chez lui, après tant d'années. Moi en tout cas j'ai hâte de partir d'ici ! Castelbouchon nous attend !

- Merle... Tu as quitté l'auberge et tu es allée espionner Bartholomaüs ? s'offusqua Justinien.

- C'était pour ne pas manquer notre rendez-vous, assura Merle avec un regard cherchant l'indulgence.

Justinien soupira. Lui qui connaissait son assistante depuis quelques années maintenant, savait très bien qu'elle mentait. Merle était un drôle d'oiseau pour tout dire. Elle ne tenait jamais en place, sans cesse apte aux bêtises et à causer des désagréments à son tuteur, même si ses actions étaient toujours pleines de bonnes intentions. Il la fixa avec un air réprobateur bien qu'il n'avait pas l'autorité et la crédibilité pour le faire. Justinien finissait constamment par tout lui pardonner.

- Oui bon, je voulais savoir ce qu'il faisait, confessa la jeune demoiselle en laissant éclater son impatience. Je trépigne moi ! Je veux partir à Castelbouchon !

***

Dans sa chambre, Izak n'avait pas beaucoup dormi non plus. Alors que le disque solaire rosissait le ciel (d'où le nom de l'Heure-Rose) derrière sa fenêtre, le rivois fixait les poutres du plafond. Ce fut la lumière extérieure qui se propageait à travers le verre grossier qui le sortit de ses contemplations. Il bondit d'un coup de la couchette. Malgré le manque de sommeil, il débordait d'énergie. Plusieurs fois déjà, il s'était levé pour tourner en rond, défaire, refaire son paquetage et se remettre au lit. Et finalement, il s'était décidé. Il s'enveloppa de sa couverture épaisse, prit son sac et descendit les marches prudemment. Il tendit l'oreille pour s'assurer de toujours percevoir les ronflements de son père. Il entendit un raclement de gorge à la place. Brelok l'attendait à l'angle des escaliers en contrebas, les mains dans le dos, le regard sombre... Le genre de regard qui vous faisait dévoiler le moindre de vos secrets.

Après une grimace d'épouvante, Izak prit sa respiration et se prépara à la confrontation. De toute façon il l'avait imaginée pendant la nuit, et même pendant toute sa vie à vrai dire. Le rivois avait failli quitter le village pour aller à l'aventure à maintes reprises. Chaque fois, il avait avorté son plan pour diverses raisons. La première fois, il était trop jeune, la fois suivante il pleuvait, la fois d'après c'était l'hiver qui s'annonçait rude, une autre fois c'était l'été qui était implacable, une fois encore c'était l'oubli d'avoir fait son lit qui l'obligea à revenir. Bref, l'explorateur en herbe ne se rendait jamais très loin.