Chapitre 62

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Un jour s'était passé depuis qu'ils avaient quitté Portpoudrin. La mer était calme, les nuages s'étaient évanouis depuis longtemps et la caravelle progressait sans mal. Sur leur chemin, les arpenteurs croisèrent plusieurs îlots. Certains étaient peuplés et ils purent y faire escale. Dans leur grande majorité, les villages avaient subi des avaries pendant la tempête. Ils n'avaient pas de digues ou de fortification capables d'encaisser la houle comme Castelbouchon, par conséquent la dévastation était omniprésente. Heureusement, les résidents avaient pu s'abriter sur les hauteurs des terres. Les provisions distribuées par la caravelle remontaient le moral des insulaires. Plus tard, des renforts allaient arriver pour aider les locaux à reconstruire les habitations.

À la fin de l'après-cime, après plusieurs heures de navigation, le navire approcha d'une autre île, celle qui intéressait les arpenteurs : l'Île Creuse. L'équipage manœuvra jusqu'à une anse où l'on put jeter l'ancre. Le capitaine fit descendre un canot pour débarquer ses passagers.

— L'île est-elle habitée ? s'étonna Justinien en posant la question à la vigie.

Depuis la proue, le médecin fixait la berge de sable noir coupée en deux par le lit d'une rivière de gros galets. Tout autour, une jungle luxuriante s'assombrissait à mesure que le soleil se couchait. Et effectivement, au milieu de ce paysage paradisiaque, il y avait :

— Hein ? Ah ça ? Non, c'est juste une petite baraque pour les pêcheurs qui souhaitent s'arrêter avant de reprendre la mer, répondit le marin. On ne peut pas dire que l'île soit vraiment habitée.

— Pourtant il y a de la lumière, ajouta Merle qui s'était penchée sur le mât de beaupré en poussant son mentor.

Le marin regarda de nouveau et se gratta la barbe. Si c'étaient des pêcheurs, on aurait vu leurs navires dans la crique ou au moins sur la plage à proximité de la cabane. Or il n'y en avait aucun à part leur caravelle qui mouillait.

— Un naufragé ? se demanda un autre matelot.

— Avec la tempête, c'est posséble, répondit un troisième qui s'agglutinait pour observer.

Ce fut avec beaucoup de circonspection que les arpenteurs accompagnés du capitaine et de trois de ses hommes embarquèrent sur le canot. Ils avancèrent jusqu'à l'île sans dire un mot. Le clapotis de l'eau et l'effort des rameurs rythmaient la progression. En un rien de temps, la coque de la barque s'enfonça dans le sable et remonta sur la plage. Les marins sautèrent et halèrent l'esquif. Merle bondit sur la grève et prit l'initiative d'aller vers la baraque avant que Justinien ne termine son ordre d'interdiction.

— Aaaaaaaaah ! Mais voilà qu'ils viennent sur mon île maintenant, ces satanés humains !

La voix nasillarde d'une créature fit sursauter l'adolescente qui s'arrêta net au bout d'une dizaine de pas. Stupéfaite, elle fit un mouvement en arrière quand elle vit, un petit homme au visage caricatural : gros nez, gros menton, grosses lèvres, gros sourcils, grosses lunettes épaisses relevées par de gros doigts boudinés et calleux. Justinien rattrapa en quelques enjambées son apprentie. Surpris par l'interlocuteur, il se plaça à côté de Merle hébétée et déclara en se prosternant :

— Bonjour, sire gobelnain. Je m'appelle Justinien, je suis médecin, et voici mon assistante Merle.

Le gobelnain fit une moue en jaugeant les deux intrus de haut en bas, et de bas en haut. Il arrivait à peine au nombril de la jeune fille, mais devait bien peser deux fois son poids. Il était trapu et avait un air méfiant. Il ne portait pas d'arme apparente et ne montrait aucun signe d'hostilité en dehors d'une mauvaise humeur. Une barbe loqueteuse partait de son menton pour descendre jusqu'à ses genoux. Merle ne parvenait pas à décrocher son regard des filaments drus et secs qu'elle trouvait particulièrement négligés. Toutefois, elle ne se rendait pas compte que sa coiffure avait quelques similitudes avec cette barbe de gobelnain.

Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant