Chapitre 32 : Après lui, après toi...

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Même si la nuit est bien entamée, Gen n'arrive toujours pas à dormir. Installé dans son futon, il regarde le plafond au-dessus de lui. Il espère que cette lassitude parviendra à l'aider à dormir mais c'est peine perdue. Morphée ne veut pas de lui malgré tous ses efforts. 

Agacé, il finit par s'asseoir dans le lit. Il allume la lampe de chevet, brisant le noir d'encre installé dans la pièce. Une pièce toute petite : la chambre qu'il a louée dans l'auberge de jeunesse. 

Il n'arrive pas à dormir car les mots se bousculent dans sa tête. Des mots qu'il n'a jamais dit, des mots qui le hantent depuis des jours entiers, parasitant ses nuits. Ses yeux viennent se poser sur le petit bureau dans le coin de la pièce. Il fait nuit, mais cela ne le décourage pas. Il s'extirpe de ses draps pour s'asseoir face à ce petit meuble. Il faut qu'il se libère de ces mots qu'il garde en tête. Les écrire sur le papier, les sortir de son esprit. Peut-être qu'enfin, après ça, il pourra dormir en paix. 

Il y a un bloc de feuilles dans ses affaires. Il le sort de son sac, attrapant également la petite trousse de stylos qu'il a emportée avec lui. Chez lui, il n'avait pas tant d'effets personnels que ça. Toute sa vie se trouve entassée dans cette auberge, juste le temps qu'il parvienne à trouver un appartement. Ensuite, il pourra commencer une nouvelle vie. 

Il ouvre le bloc, le stylo en main. Pendant quelques instants, le stylo reste suspendu au-dessus de la feuille, incapable de s'y poser. Durant de longues secondes, Gen se demande à qui il peut adresser ces mots. Ils pullulent dans son cerveau mais il a du mal à les ordonner. Il décide vite de ne pas se poser de questions. Enfin, le stylo s'agite, étalant son encre noire sur la feuille blanche. 

Cher Mozu, je t'écris cette lettre alors que tu ne pourras plus jamais la lire. Tu es parti il y a quelques temps maintenant, depuis des semaines que je ne compte plus. Je t'ai vu me regarder une dernière fois avant que ton corps ne se laisse tomber dans le vide. Avant que tu ne tombes, j'ai vu tes yeux, j'ai capté ton regard. Et alors que tu étais sur le point de mourir, tes yeux souriaient. Malgré la situation, tu avais l'air heureux de partir. Ou alors, heureux de me voir pleurer ? J'aime imaginer que tu ne pensais pas à ça. Parce que même si tu m'as fait du mal, je te connais, et je sais que tu n'étais pas comme ça.

Mais depuis ta mort, les mots que je n'ai pas pu te dire me hantent. Tous les jours j'essaye de passer à autre chose, de me dire que dans tous les cas, te dire ces mots ne serviraient plus à rien. Mais ce n'est pas vrai. Je me suis longtemps imaginé pouvoir te dire tout ça, les yeux dans les yeux. Mais j'avais peur de tes mains, j'avais peur de ce que tu étais capable de me faire. Alors j'écris ces mots, même si tu ne pourras plus jamais les lire. 

Tu m'as fait du mal. Mais ça, tu le sais, n'est-ce pas ? Tu me voyais pleurer, tu as bien dû voir dans mon regard que j'avais peur de toi. Tu as bien dû voir dans mes yeux que tout ce que nous vivions n'était pas de l'amour. Entre nous, il n'y avait plus rien mis à part la violence. Et en réalité, c'est tout ce qu'il y a toujours eu entre nous. La violence, c'est la seule chose qui nous réunissait. Elle était chez toi, elle était chez moi. Tu la subissais, moi je la regardais. Tu as senti les coups sur toi, on a blessé ton corps sans raison et tu as blessé le mien à ton tour. Parce que c'était un moyen pour toi de m'aimer. Parce que tu n'as connu que ça, toute ta vie. 

Je ne regrette pas ce que je t'ai dit quand Senku est venu me chercher chez toi. Je pense effectivement que je ne suis jamais tombé amoureux de toi. Ça ne veut pas dire qu'il ne s'est jamais rien passé entre nous, ou que je rejette tout ce qu'on a vécu, mais c'est la vérité. Je me suis accroché à toi car tu étais ma seule porte de sortie. 

Je n'étais pas amoureux de toi, mais j'ai aimé être dans tes bras. Avant qu'ils ne me frappent, j'ai aimé leur force car j'avais l'impression d'être en sécurité. Je ne rejette pas toutes ces soirées où tu es venu me rejoindre en secret pour chercher du réconfort quand nous avions 15 ans. Je ne rejette ni nos étreintes, ni nos baisers, ni nos sourires. Avant que tout ne dérape, j'ai été heureux à tes côtés. Je ne renie rien de tout ça. 

Après toi... (Sengen)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant