15 . Nouveaux Alliés

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— Vous voilà enfin, ronchonna Morrigan, adossée à une pile de caisses, bras croisés et tête capuchonnée. J'ai cru que vous aviez décidé de m'abandonner ici.
— L'idée nous a effleuré, en effet, grimaça Alistair. Mais après réflexion, nous nous sommes dit qu'il était préférable de ne pas déclencher la colère de votre mère, alors nous sommes revenus.
Reann secoua la tête mais ne put retenir un sourire de fendre son visage à la demi plaisanterie de son compagnon d'arme. Elle s'empressa d'ajouter avant que de nouvelles chamailleries ne commencent :
— Des affaires nous ont retenus à la Chantrie. Mais nous parlerons de tout ça à l'intérieur.
Heureuse à l'idée de bientôt faire un vrai repas, Reann entra dans la taverne avec un entrain retrouvé. Hélas, elle déchanta à peine entrée dans les lieux : un groupe de six soldats, mené par un chevalier, attablé près de la porte se leva et leur bloqua le passage.
— Regardez qui voilà ! La fortune nous sourit !
Un bref coup d'œil à l'insigne sur le plastron du chevalier en face d'elle fit comprendre à Reann que ces hommes étaient sous les ordres directs de Loghain. Ils n'étaient pas simplement recherchés : la garde du tiern les attendait personnellement ici, et de pied ferme. Fenris adopta une position de défense, grognant et montrant les dents, prêt à bondir au premier signal de sa maîtresse. Par instinct, Reann leva les mains au niveau de son buste, pour montrer sa bonne fois et pour se saisir le plus rapidement possible de ses lames si la situation venait à dégénérer. Mais avant qu'elle ne puisse ouvrir la bouche, une sœur de la chantrie s'interposa :
— Messieurs, inutile de recourir à la violence. Ce ne sont que d'autres âmes en peine qui cherchent asile.
— Bien au contraire. Dégage la sœur. Si tu protèges ces traites, tu finiras comme eux.
— Si ce sont des traites que vous cherchez, vous vous trompez de cible, gronda Reann entre ses dents. C'est le tiern qui à fuit la bataille.
— Le tiern Loghain nous à sauvé !, ré-enchérit le chevalier. J'étais là. J'ai tout vu.
— Il suffit ! s'exclama le second. Capturer les Gardes-des-Ombres. Les autres, tuez-les.
Le second du chevalier n'eut pas le temps de lever son épée dégainée, ni de regretter ses mots ; Fenris bondit sur lui, tous crocs dehors, et le saisit à la jugulaire dans un lourd fracas métallique. Un gargouillis étouffé s'échappa de la bouche entrouverte de l'homme dont les yeux se voilaient.  Une auréole informe et carmine s'étendait autour de sa tête. Profitant de cette diversion, Morrigan lança un sort, et congela sur place deux autres soldats dont les prisons de glace explosèrent presque aussitôt. Le plus proche de l'entrée de l'auberge se précipita dehors où il rendit son repas et sa bière avant de s'enfuir. Alistair para un coup d'épée de son bouclier, puis se lança dans un duel avec son assaillant. La sœur sortit une paire de dagues de sous sa bure, et s'interposa entre Reann et le sixième soldat, ce qui laissa tout le loisir à la jeune Garde-des-Ombres de s'occuper du chevalier. Mais ce dernier en voyant son effectif réduit au tiers ne chercha même pas à se battre. Il recula en levant les mains, et tomba en arrière en trébuchant dans les pieds d'une chaise.
— Assez ! Nous nous rendons.
La sœur retira sa dague de la gorge du soldat qu'elle s'était attribué. Bien que son assaillant ait posé son arme à terre, Alistair l'assomma pour s'assurer qu'il obéisse à son supérieur.
— Je pense qu'il a compris. Laissez-le partir.
Reann regarda la sœur du coin de l'œil, n'appréciant guère son discours. Son seul désir était d'évacuer tous les ressentiments qu'elle avait accumulés ces derniers jours, et tuer cet individu à la solde du tiern Loghain semblait l'exutoire parfait.
Avec une force surprenante pour son gabarit, la Garde plaqua un pied sur le buste du chevalier, lui arrachant un hoquet. Elle leva son arme, puis l'abaissa d'un seul coup. D'une même voix, la sœur et le chevalier hurlèrent un « Non » d'horreur et de pitié.
Un silence religieux s'installa, aussitôt brisé par un sanglot de soulagement émis par le chevalier dont la tête était collée à la lame de la dague plantée dans le sol.
Le visage à quelques centimètres du sien, Reann pouvait sentir son souffle remplit de bile et entendre les tressaillements de sa voix nouée. Les yeux plantés dans ceux écarquillés et humides de l'homme, elle s'adressa à lui dans une intonation calme qui trahissait sa rage.
— Vous allez dire à Loghain que nous savons la vérité et que nous venons à sa rencontre. Je jure que ses actes ne resteront pas impunis.
Le chevalier bafouilla sa réponse, puis se hâta de déguerpir lorsque la jeune Garde l'eut relâché.
— Brave gens, il n'y a plus rien à voir, alors retourner à vos conversations et vos fonds de pintes, ricana Alistair pour détendre l'atmosphère et dévier l'attention.
Fort heureusement, les clients de la taverne ne cherchèrent pas plus loin, et reprirent le cours normal de leur journée.
Reann regarda le carnage autour d'eux : deux morts et un inconscient au sol, ainsi que deux flaques de sang, et des membres congelés éparpillés un peu partout. S'ils ne voulaient pas que d'autres problèmes leur tombent dessus, ils allaient devoir quitter ce village au plus vite.
Pendant qu'Alistair et Morrigan déplaçaient les corps en se chamaillant, Reann demanda des sacs de jute à l'aubergiste pour rassembler les restes humains.
— Désolée d'être intervenue, mais je ne pouvais pas rester les bras croisés, dit une voix mélodieuse par-dessus son épaule.
La sœur. Reann l'avait presque oubliée.
— Vous devriez faire attention. Ce combat n'était pas le vôtre.
— Je voulais simplement aider. C'est ce que le Créateur nous dit de faire : aider son prochain.
— Et depuis quand les religieuses savent-elles se battre ?
— Je ne suis pas née dans un cloître. Certains d'entre nous ont une vie... agitée, avant d'entrer dans les ordres.
— Je vois. Si vous voulez bien m'excuser...
— Attendez !
La rouquine glissa devant elle pour lui barrer la route.
— Vous êtes Garde des Ombres, n'est-ce pas ? Je peux vous aider. Je le dois.
Reann toisa son interlocutrice avec méfiance. Elle ne semblait pas méchante, mais son comportement était étrange.
— Vous le devez ?
— Le Créateur me l'a demandé. J'ai eu cette vision et... Peu importe, vous avez besoin d'aide, n'est-ce pas ?
Son discours rendait Reann de plus en plus perplexe. Peut-être était-elle un peu fanatique sur les bords, mais sa motivation lui parut sincère.
— Si vous voulez vous rendre utile, commencez par nettoyer le bazar que vous nous avez aidé à créer. Ensuite, débrouillez-vous pour trouver une tenue adaptée au voyage et au combat. Après ça, nous verrons.
Ravie de cette réponse, la soeur s'empara d'un sac de jute, et se mis au travail, puis disparue si tôt terminé. Reann et ses compagnons en profitèrent pour s'offrir un repas avec les pièces d'argent trouvées sur les corps de leurs adversaires, puis firent le point sur leur situation. Ils avaient énuméré les différentes façons d'augmenter leurs finances restantes, puis évoquèrent les cas de la sœur et du qunari.
— Vous n'êtes pas sérieuse ? Cette fille avait l'air... bizarre.
— Je rejoins Alistair sur ce point. Si vous avez accepté son aide, votre esprit a dû être plus touché que ma mère ne l'a envisagé.
Face à leur réaction, Reann baissa sa tête entre ses épaules.
— Je ne suis même pas certaine qu'elle se joigne à nous. Elle est partie très vite.
— Espérons qu'elle ne revienne pas, soupira Morrigan.
— Et le qunari ? Vous disiez que c'était un meurtrier.
— C'est ce qu'il à avouer, oui. Il est enfermé dans une cage à la sortie du village. Je m'étais rendu à la chantrie pour obtenir sa libération, mais la révérende-mère m'a énervée et... Bref, notre entretien n'a rien donné.
Elle s'arrêta pour boire, Alistair la fixant d'un air suspicieux.
— Vous avez une idée derrière la tête. Et quelque chose me dit que je ne vais pas l'apprécier.
— Et bien c'est une vieille cage. Ouvrir sa serrure, même sans clef, ne devrait pas trop poser de problèmes...
— Je m'en doutais.
— L'Enclin arrive sur ce village, il sera sans doute bientôt réduit en pièce. Vous préféreriez que cette pauvre créature soit prise par l'Engeance ?
— Je préfèrerais ne pas m'inquiéter de me faire étrangler pendant mon sommeil par un assassin.
— Nous ne sommes pas en mesure de faire la fine bouche. Il nous faut de l'aide. Et puis pour le moment, il est mal en point. Il aura besoin de soin avant de pouvoir retrouver toutes ses forces, et à nous trois... - Fenris aboya en protestation – Pardon, à nous quatre, nous devrions réussir à le maîtriser s'il venait à nous attaquer.
— Je vois que vous avez réfléchi à tout. Mais cela ne nous dit pas où nous rendre avec les traités...
— J'ai parlé avec le tavernier : les lieux les plus proches d'ici sont Golefalois à quatre jours de marche, et ensuite le Cercle des Mages. C'est là que nous irons.
— Quelle charmante perspective, ironisa Morrigan.
— Vous avez peur qu'on vous y laisse ? ricana Alistair.
Avant que les chamailleries ne reprennent, Reann poursuivit :
— Avec la maladie du iarl, il serait plus sage de se concentrer sur les mages.
— Soit. Mais si quelqu'un tente de m'enfermer dans cette tour...
Reann apaisa la sorcière du mieux qu'elle put. Ils poursuivirent leur discussion, et lorsque les dernières questions furent réglées, ils sortirent de la taverne.

*********

Le soleil disparaissait à l'horizon lorsque le groupe de voyageurs put enfin quitter Lothering. Après avoir régler des petits problèmes en tout genre pour gagner un peu d'argent et affronter des réfugiés prêt à tout pour avoir leur tête et obtenir la récompense de leur capture, Reann et ses compagnons avaient fait le plein de provisions. À l'aide du kit de crochetage à sa ceinture, fourni avec son équipement de Garde-des-Ombres, elle ouvrit la cage du qunari, qui, dans un serment solennel, jura de l'aider à combattre l'Enclin pour payer sa dette. Contre toute attente, la sœur de la chantrie les avait rejoint aussi. Elle avait, comme convenue avec Reann, troqué sa bure chantriste contre une armure et des bottes légères, un arc et un carquois rempli de flèches dans le dos, et deux poignard à sa ceinture. Un baluchon contenant quelques affaires personnelles pendait à son épaule droite. Leur dernière bonne action avant de partir définitivement fut de sauver un marchand nain et son fils d'une attaque d'engeances.
Le nouveau groupe s'éloigna de Lothering autant qu'il leur fut possible avant s'arrêter pour la nuit. Ils avaient dressé le campement à la lisière d'une forêt pour s'abriter des regards.
— Voilà un moment que je n'ai pas dormi à la belle étoile, soupira Léliana – c'était ainsi que la sœur chantriste avait dit s'appeler – avant de mordre dans une pomme qu'Alistair lui tendit.
L'intonation de la rouquine trahissait un enthousiasme bien trop joyeux qui fit douter Reann quant à ses réelles motivations. Elle ne doutait pas de ses aptitudes au combat, Léliana les avait déjà démontrées lors de l'affrontement dans la taverne, mais ne cherchait-elle pas uniquement à nourrir un rêve de gloire et d'aventure, comme le roi Cailan avant sa mort ?
— J'espère que vous appréciez, plaisanta Alistair. Ça risque d'arriver souvent.
— Je suis contente de voir que vous l'avez libéré, ajouta-t-elle en montrant d'un signe de tête le qunari qui se faisait soigner par Morrigan un peu plus loin. Il a peut-être commis des crimes, mais il ne méritait pas ce sort.
Reann regarda le géant à la peau grise du coin de l'oeil :
— Pour être honnête, je ne sais pas quoi penser de son histoire. Mais il paraît que les qunaris n'ont qu'une parole, et il a promis de nous aider, alors...
— Nous verrons bien, sourit Léliana en se levant.
Elle s'étira, puis regagna sa couche à quelques pas de là.
— Vous devriez aller vous reposer aussi, Alistair, ajouta Reann. La journée à été longue.
— Vous d'abord. Vous êtes exténuée.
— Qui ne l'est pas ?
Ils échangèrent un sourire, puis Reann reprit :
— Vous ne m'en voulez pas de les avoir pris avec nous ?
Alistair haussa les épaules.
—  Vous avez raison, nous avons besoin d'alliés. Et je n'étais pas en état de prendre des décisions. D'ailleurs, c'est vous qui devriez mener.
Cette demande désarçonna Reann, qui, interloquée, fixa le jeune homme. Pourquoi prenait-il une telle décision ? Et qui disait qu'elle voulait de cette responsabilité ?
— Pourquoi moi ?
— Cette charge doit revenir à l'un de nous deux, et ma foi, vous avez plutôt maîtrisé la situation à Lothering.
— Mais vous êtes le Garde-des-Ombres le plus expérimenté.
— C'est vrai. Mais quand c'est moi qui décide, je me retrouve généralement tout nu et les événements tournent à mon désavantage.
Cette révélation laissa Reann perplexe. Après une brève réflexion, elle demanda :
— Ai-je envie de connaître l'anecdote derrière cet aveu ?
— J'en doute.
En dépit de la pénombre, Reann vit les joues d'Alistair s'empourprer alors qu'il s'efforçait de masquer sa gêne derrière un demi sourire maladroit. La curiosité de la jeune femme était piquée au vif, mais elle n'insista pas. Alistair était libre de lui confier ce qu'il voulait.
— Je suis contente de retrouver votre bonne humeur. Vous n'étiez plus vous même ces derniers jours.
Le Garde-des-Ombres acquiesça d'un signe de tête mais n'ajouta rien. Il n'était pas encore prêt à parler des événements d'Ostagar, et Reann ne le comprenait que trop bien.
— Je vais voir comment vont les autres et essayer de savoir ce que veulent ces deux nains marchands. Ensuite vous commencerez votre premier tour de garde.
Index et majeur unis, il imita un salut militaire nonchalant avant de remettre quelques branches dans le feu de camp.
Reann s'éloigna en compagnie de Fenris. Elle observait chacun de ses nouveaux compagnons, se demandant comment elle allait pouvoir amener tous ces tempéraments à travailler de concert pour venir à bout de l'Enclin.

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