4. Discussions houleuses

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Le soleil couchant illuminait de ses derniers rayons les vitraux colorés de la chapelle calme. Son silence était d'autant plus profond qu'il contrastait avec la précédente cérémonie où soldats et fidèles avaient chanté les cantiques à la gloire du Créateur. Certains lui avait demandé de veiller sur une famille laissée sans protection, d'autre d'accorder sa bienveillance à un être cher partant au front, et d'autre encore avaient priés pour que la menace de l'Engeance disparaisse au plus vite.
Reann avait chanté en chœur avec les autres sans adresser de volonté au Créateur. Par le passé, elle priait souvent. En grandissant, et même si une part d'elle ne croyait pas toujours en l'existence de ce « Créateur » vénéré dans tout Thédas, elle avait continué ses prières, parfois par conviction et d'autre fois par habitude. Aujourd'hui, sa raison et sa colère l'avaient emporté sur sa foi. Mais à la fin de la cérémonie, et pour une raison lui étant inconnue, la jeune femme ne put se résoudre à quitter la chapelle. Depuis plusieurs minutes, elle fixait la statue de celle à l'origine du courant religieux de la Chantrie : Andrasté. Elle fut esclave de l'Empire Tévintide, puis épouse d'un grand chef d'une tribu barbare féreldienne, prophétesse répandant la parole du Créateur qui s'était révélé à elle, chef de guerre menant bataille contre l'empire l'ayant assujettit, et enfin, après avoir été brûlée vive, élevée au rang d'icone religieuse. Drapée dans sa cape et coiffée de sa couronne dont le symbole frontal évoquait un soleil brillant, l'épouse spirituelle du Créateur affichait une expression sereine.

— On ne croirait pas à la voir représentée ainsi qu'elle ait tant souffert dans sa vie, dit Mère Mallol.

Tirée de ses pensées, Reann tourna la tête vers la religieuse. Mallol avait une trentaine d'années. Tout comme Ser Gilmore, elle avait fait partit de son enfance. Elle avait des cheveux d'ébène qu'elle coiffait toujours en un chignon impeccable et simple, une peau claire, et des yeux foncés en forme d'amande qui laissaient transparaître sa bienveillance. Reann l'avait toujours trouvée trop belle pour n'être qu'une simple religieuse. Son frère avait pendant un temps partagé son avis et tenté de la détourner de sa vocation, en vain. Reann avait longtemps cru que Mallol s'était refusé le luxe de choisir sa destinée à cause de sa condition d'orpheline, mais en réalité, la religieuse avait toujours su qu'elle devait servir le Créateur. Ses paroles justes et ses conseils avisés avaient mainte fois prouvés qu'elle était à sa place.

— Et pourtant, la souffrance laisse des marques, dit Reann en reportant son attention sur Andrasté après un silence. La sanctification doit sûrement les effacer.

Mère Mallol sourit à cette réponse, et, à l'aide de l'extrémité en combustion de la longue tige de bois qu'elle tenait, allumait les cierges.

— Est-ce pour cela que vous scrutez sa statue ? Vous cherchez ces fameuses marques ?

— Je me demande pourquoi elle a donné sa vie à un dieu injuste.

Les mots franchirent sa bouche et cette réponse s'imposa avec évidence. Reann se mordit la langue pour ne rien ajouter de fâcheux, puis prit une inspiration pour retenir le sentiment de colère montant en elle.

— Le Créateur est ce qu'il est, ni juste, ni injuste. Tout comme Andrasté, il fait ce qui doit être fait.

La voix calme de Mère Mallol aurait pu apaiser Reann, mais ses mots eurent l'effet inverse. Ses poings se serrant malgré elle, la jeune noble tourna la tête vers la religieuse.

— Alors c'est ce que le Créateur veut ?, répliqua-t-elle avec dépit. Envoyer maris et pères loin de leur famille ? Confronter l'humanité à une nouvelle menace ? S'ennuie-t-il à ce point pour regarder ses « enfants » se vider de leur sang sur les champs de bataille depuis sa Cité d'Or ? Aucun des soldats partis de Hautecime aujourd'hui ne mérite un tel sort.

Dragon Age - A Warden StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant