Chapitre 1 : Level 01 - Acte 1

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Il suffisait de passer devant le WestBar pour avoir envie de s'y arrêter, de s'y arrêter pour avoir envie d'y revenir. Avec son zinc, son piano et ses tonneaux en bois, il avait tout d'un saloon typique du Far West, dont les crachoirs engendraient des concours de distance improvisés de la part de leurs utilisateurs. Mais ce qui faisait vraiment la réputation du WestBar était ses danseuses. Elles savaient, comme nul autre, attirer toutes les attentions d'un déhanché synchronisé puis les faire tournoyer au rythme de leurs jambes nues.

L'arrivée de Grizzly cependant, plongea le WestBar dans cette atmosphère électrique si chère aux films spaghettis. Depuis qu'il s'était assis à une table, l'allégresse avait fait place à un malaise diffus et les plus belles jambes du monde n'y pouvaient rien changer. Peu nombreux étaient les courageux qui cherchaient à voir à quoi l'homme ressemblait. Tous faisaient mine de continuer la discussion précédemment entamée, mais la subite diminution du volume sonore laissait de plus en plus distinctement entendre les hésitations glisser entre les doigts du pianiste. Le calme avant la tempête se disait Joe, barman et patron de l'enseigne, en essuyant machinalement un verre avec son torchon. Lui qui avait réussi à faire de son bar la référence en la matière, rencontrait régulièrement ce genre de crapules. Généralement elles se tenaient à carreau car il était dans l'intérêt de tous qu'un tel lieu existe. Mais Grizzly était un homme qui tenait à sa réputation, et il avait la réputation d'être incontrôlable.

Depuis son arrivée le temps s'était fissuré, laissant échapper une odeur de gaz, présageant que la moindre étincelle provoquerait une explosion. Joe avait bien un service d'ordre, des mercenaires à la petite semaine qu'il payait avec des verres à volonté et quelques filles occasionnelles, mais seraient-ils de taille face au Grizzly et à ses deux acolytes ? La sueur qui perlait sur leur front n'était pas rassurante.

« Bon les gars, on y va ! » dit finalement l'indésirable ursidé en se levant. Debout, on comprenait mieux à quel point son surnom était approprié. Il faisait plus de deux mètres de haut et presque autant de large. Sa sortie engendra une vague de soulagement au sein du WestBar et la musique retrouva sa fougue habituelle.


Ce que Grizzly appréciait particulièrement en marchant dans la rue, c'était l'écartement volontaire (et exagéré) des piétons sur son passage. Prenant à lui seul une grande partie de l'espace disponible, il se plaisait à regarder du coin de l'œil les silhouettes s'aplatir comme des ombres et glisser le long les murs afin d'éviter tout contact. Aussi, cet instant où il se fit bousculer devait forcément se solder par un châtiment exemplaire. Il se retourna, freiné dans son élan par une surprise de taille... réduite. Un petit garçon d'une dizaine d'années.

« Qui m'a bousculé ? » s'exclama l'enfant les sourcils froncés en dévisageant tour à tour les trois malfrats.

La scène était irréelle. Les spectateurs ralentirent le pas, médusés par l'insolence suicidaire de ce gosse, pas plus épais qu'une des jambes qui lui cachait la vue. Le Grizzly s'empourpra, statuant d'un cri inintelligible sa condamnation irrévocable. Il tenta de saisir l'effronté mais à peine son bras s'était-il approché de l'enfant que ce dernier bondit, s'y accrocha de tous ses membres, et d'un mouvement tourbillonnant lui brisa l'articulation. Des cris de stupeur sortirent de la foule qui s'était figée devant la scène.

Déstabilisée par la douleur, la brute hurla en posant un genou à terre, un reflet d'incompréhension traversant son regard animal. Le gamin en profita pour lui attraper la tête et la fit tourner sèchement. Le craquement des cervicales annonça la mort prématurée de l'ours sauvage, confirmée par le bruit mat de son effondrement sur le sol. Le vent souffla, transportant le silence des bouches ouvertes. Parmi elles, déstructurées, celles des deux acolytes du Grizzly qui ne pouvaient détourner leur regard du jeune garçon. Leur faisant face, il déclara d'un ton autoritaire siégeant sur l'éloquente démonstration « si vous pensez avoir une chance contre moi, n'hésitez pas ! ». Puis, satisfait par leur impassibilité, reprit tranquillement son chemin.


Quelques minutes plus tard, l'intrépide sauvageon eut la sensation de se trouver dans une boucle temporelle. Il se heurta à la même situation, prit la personne de plein fouet et fut repoussé de deux pas en arrière avec la certitude d'un acte prémédité. « Alors toi ! » s'écria-t-il. Il eut juste le temps de relever les yeux qu'une main agressive l'attrapa par le col « Enfin je te retrouve, Gamin ! ».

C'était un homme à la peau noire, de grande taille et d'une stature imposante. Son long manteau en cuir sombre tombait comme une cape, frôlant le sol à chacun de ses pas et cachait difficilement la monumentale épée qui se trouvait dans son dos. Sa tête, dont les cicatrices témoignaient d'un goût prononcé pour le combat, était recouverte d'un large chapeau couronnant son regard acéré. En le reconnaissant, le visage du Gamin était subitement redevenu un visage d'enfant.

« Ah, salut Graal, je me doutais que tu viendrais me rendre visite... ». Sans répondre, le dénommé Graal tira le garçon dans une ruelle.

Deux chiens, qui se disputaient des restes qu'on leur avait jetés, s'enfuirent effrayés par le coup de pied de l'homme fracassant la porte d'un petit bar miteux. Il jeta l'enfant sur une chaise comme s'il s'agissait d'un vulgaire sac puis s'assit de l'autre côté de la table.

– Allons droit au but, je ne sais pas ce qui t'a empêché de me prévenir de toute urgence, commença-t-il de sa voix rauque, mais ce que je sais, c'est que le n°1 est dans le coin. Et maintenant tu vas me dire où, très exactement.

– Du calme mon ami, répondit aussitôt l'enfant. Tu abuses du fait que je ne peux rien te refuser. Quand même, ce n'est pas une raison pour me ridiculiser en public, j'ai une réputation à tenir moi ! Tu sais bien que je ne me pardonnerai jamais ce que je t'ai fait, mais il faut bien admettre que ça t'a plutôt réussi...

– Tu tiens si peu à la vie Gamin, coupa Graal, que tu veux rouvrir des plaies que je pourrais avoir envie de transposer sur tes joues ?

Le Gamin soutint le regard qui lui faisait face dans un silence que Graal finit par interrompre.

– Revenons au sujet, où est-il ?

– Graal, il y a deux raisons pour lesquelles je ne t'ai pas contacté. La première est que j'ai eu cette info un peu trop facilement compte tenu de ce qu'elle représente, et le fait qu'elle soit arrivée jusqu'à toi renforce mes craintes. La seconde, c'est que je pense que tu n'es pas encore prêt.

– Il y a longtemps que je n'écoute plus tes conseils Gamin, et jusqu'ici ça me réussit plutôt bien.

– Je vois... Tu ne pourras pas dire que je ne t'avais pas prévenu. - L'enfant griffonna quelques mots sur un morceau de nappe, le déchira et le tendit à l'intéressé - Voilà l'adresse, fais-en ce que tu veux.

Graal s'en empara d'un geste sec.

– J'y suis peut-être enfin, commenta-t-il les yeux rivés sur le bout de tissu.

– Je l'espère mon ami... murmura l'enfant d'une voix dubitative.


Une autre voix l'interrompit. « Bonjour, vous êtes bien Kristal, celui qu'on surnomme Le Gamin ? Il paraît que vous êtes l'un des plus grands informateurs qui soit ». Un jeune homme brun se tenait à côté de leur table. L'allure discrète, longiligne, remplissant difficilement une chemise blanche boutonnée jusqu'au col, il ne devait pas avoir la trentaine et se distinguait surtout par son air candide de jeune premier. Graal se leva sans le regarder « Je te laisse avec ton nouveau pantin » fit-il en sortant du bar, immédiatement suivi par des soupirs de soulagement.

– Il n'a pas l'air commode celui-là, remarqua ironiquement l'importun. Je me présente, je suis John, John Ducat.

– Je sais qui tu es, Loumy m'a parlé de toi, d'ailleurs il était censé te dire que j'avais arrêté.

– Il me l'a dit, répondit John, mais je tenais absolument à vous avoir comme mentor, vous êtes le meilleur, je ne veux personne d'autre.

Le Gamin analysa l'auteur des flatteries, puis se replaça dans sa chaise en signe de résignation.

– Sais-tu où nous sommes ?

– A Luca, vice-capitale de San Fears.

– Mais encore.

– Ben..., hoqueta John surpris - Il se gratta le front avant de se décider à répondre le plus sérieusement du monde à une question aussi saugrenue - dans Alpha, bien sûr ! Le plus grand jeu de réalité virtuelle qui ait jamais existé !

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