Lorsqu'il ouvrit les yeux dans Alpha, sa vision troublée lui imposa d'attendre quelques secondes avant de pouvoir distinguer quoi que ce soit. La première indication fut une tonalité féminine sur sa gauche.
— Alors chéri, le réveil vaut le sommeil ?
— Hum, grommela Graal reconnaissant la voix. Mon ex-partenaire...
— Ex ?
— Après la merde dans laquelle tu m'as fourré, tu ne t'attendais pas à des remerciements !
Il voulut bouger et dut se soumettre. Impossible. En entendant les cliquetis des chaînes, il réalisa qu'il était suspendu par les poignets, les pieds à quelques centimètres du sol. Anaëlle se trouvait dans la même position, à côté de lui. Son dos collé au mur, il pouvait sentir l'humidité de la roche. Le long de sa colonne vertébrale, un fin ruissellement des plus désagréables. Certaines ombres fugaces indiquaient la présence de colocataires rongeurs. Graal imagina qu'ils devaient se trouver dans une sorte de prison souterraine... Peut-être. Sa vue troublée et la pénombre de la salle ne lui permettaient pas d'en être tout à fait sûr. Devant lui, il lui sembla toutefois pouvoir distinguer la forme d'une table... une table de torture, devina-t-il avec appréhension.
— Tu es réveillée depuis longtemps ?
— Pas assez pour comprendre, répondit Anaëlle. Que te souffle ton intuition ?
Graal réfléchit.
— Ma liste d'ennemis est assez longue, cependant j'ai un favori. De toute façon on ne tardera pas à le savoir... Mais que ce soit bien clair, si jamais on arrive à se sortir de là, c'en est fini de notre simili-duo.
Anaëlle pesta.
— J'ai détruit ce projectile pour donner une chance à ta vie.
— Je sais que tes intentions étaient bonnes. Mais ça ne change rien, je suis plus fort tout seul.
En prononçant ces mots, il réalisa que ses forces l'avaient justement abandonné. Ce n'était pas les chaînes qui l'empêchaient de bouger, son corps ne répondait plus ; ils avaient été drogués. Il tenta au moins de plier les doigts de pied. Rien. Il persévéra. Alors qu'il commençait à percevoir un léger mouvement du gros orteil, il fut interrompu par le bruit d'une clé dans la serrure. La porte de la cellule s'ouvrit.
Deux hommes entrèrent avec des torches, qu'ils posèrent dans des emplacements prévus à cet effet. Un troisième suivit, de plus forte envergure. Même si elle n'arrivait pas à le voir distinctement, Anaëlle ressentit aussitôt son aura meurtrière. Le pas lourd, la démarche arrogante, soulignée par ses épaulettes et sa longue cape, il s'approcha doucement. La lueur de la flamme dévoila un sourire au coin de ses lèvres. Ses yeux démoniaques tranchaient littéralement avec son visage d'Apollon. Anaëlle se trouva prise dans une étrange sensation d'attraction-répulsion qu'elle avait déjà connue avec d'autres hommes. « Ils nous attirent et pourtant... On sait qu'ils nous feront du mal » pensa-t-elle. Cette fois, le côté malsain qui émanait du personnage était tellement disproportionné que l'hésitation ne dura pas longtemps.
— Alors, mon petit Graal, tu te trouves en bien mauvaise posture, dis-moi.
— Demon...
Demon était l'archétype du mal. Il s'était fait la promesse d'être l'être le plus cruel qui puisse exister dans Alpha. La concurrence était pourtant rude. De nombreuses personnes fantasmaient sur le fait d'incarner un méchant charismatique et nombre d'entre eux utilisaient ce jeu pour réaliser leur rêve ; mais il n'y avait qu'un seul Demon. Il s'était imposé haut la main.
Demon menait une armée hiérarchisée et disséminée aux quatre coins d'Alpha, comprenant plusieurs centaines de milliers d'hommes et de femmes, tous portés par de puissants désirs malsains. Quand on souhaitait jouer les méchants, passer par son organisation était un bon moyen d'apprendre le métier. Son surnom, l'Essence du Mal, avait été choisi par lui-même et imposé à tous par la force. Beaucoup se demandaient s'il avait conscience d'être dans un jeu. Les médias utilisaient régulièrement son exemple pour vanter les mérites d'Alpha, en demandant d'imaginer ce qu'aurait pu être un tel individu lâché dans la nature. Qui était-il ? Un monstre ou une simple personne qui s'amuse à jouer ce rôle à la perfection ? Il valait peut-être mieux ne pas trop en savoir.
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BY-PASS Alpha
Ficção CientíficaSortir de chez soi a perdu tout intérêt. Les rues sont désertées. Le monde n'est plus que virtuel et il permet à chacun de réaliser ses rêves les plus fous, sans risque ou contrepartie. L'extraordinaire a eu raison des gens ordinaires, qui ne jurent...