Sortant du sas de décompression, Graal attrapa une serviette et s'essuya machinalement, frottant énergiquement ses volumineux cheveux frisés, héritage de ses origines caribéennes. Il se servit un verre d'eau, l'engloutit, le reposa, alla aux toilettes, oublia ce qu'il venait de faire, revint, se servit un autre verre d'eau, se rappela qu'il venait de le faire, le reposa. La déconnexion était toujours quelque chose d'assez désagréable ; il fallait quelques secondes avant de reprendre totalement ses esprits. Par réflexe il passa la main sur ses blessures. Des impacts électriques bien dosés reproduisaient les sensations de souffrance physique sans laisser de séquelle. Comme rien n'était interdit, il était possible d'effectuer une déconnexion forcée pour éviter d'avoir à vivre une situation difficile, un viol ou de la torture par exemple ; méthode qui n'excluait nullement la mort du personnage virtuel et qui, pour un joueur tel que Graal, était synonyme de déshonneur absolu.
Graal retrouva sa vie de solitude, dans un logement qui servait principalement à accueillir le Gloc, trône au milieu de sa pièce unique, où seul un lit de fortune était calé dans un coin. Aquarium cylindrique doublé d'un sas de décompression, l'imposante machine faisait la taille d'un homme. Elle était emplie de soma, un liquide protéiforme aux états instantanément interchangeables (solide, gazeux, rugueux, moelleux...). Le soma permettait de marcher, nager, voler, s'agripper, toucher ou manipuler n'importe quel objet. Casqué, on s'y plongeait avec délice pour vivre nos rêves les plus fous. Les sensations virtuelles étaient devenues si convaincantes qu'elles avaient ôté tout intérêt pour la réalité, morne et rapidement dépassée par sa concurrente. Le Gloc était la porte de tous les désirs. S'ouvrant sur un univers infini de satisfactions, il avait remplacé la porte des habitations.
Graal se laissa tomber sur le lit les bras en croix, chercha quelque chose d'utile à faire, abandonna rapidement, se leva, fit quelques pas en maugréant, puis se dirigea vers la baie vitrée. Là, il perdit son regard dans la vue qui s'offrait à lui. De l'autre côté de la vitre, les vagues revêtaient les premières nuances de roses annonciatrices d'un magnifique couché de soleil. Le vent soulevait doucement le sable, faisant osciller les herbes tropicales et les feuilles de palmiers. Quelques oiseaux sautaient de-ci de-là, à la recherche d'un dîner pour accompagner le début de soirée. Mais les tourments de Graal l'empêchaient d'apprécier pleinement ce paysage idyllique.
« Trop paradisiaque ! pensa-t-il tout haut. Trop décalé ! ». Ça commençait à le démanger.
— Eh, la Voix ! Tu pourrais pas me trouver quelque chose de plus... Enfin de moins... Ça, quoi ?!
— Quelque chose de moins beau ? Demanda la Voix d'un ton dubitatif.
— Non, pas de moins beau, rectifia Graal. De moins... Cliché ! La plage de palmiers c'est bon là, ça va deux minutes.
— Hier vous disiez qu'il n'y avait rien de plus apaisant que cette plage de palmiers...
— Hier c'était hier !
Il soupira. Il savait qu'il était inutile de s'énerver contre la Voix. De plus, il avait acheté l'option anti-contradiction. Même s'il énonçait la pire des absurdités, la Voix se devait d'être toujours d'accord avec lui. Elle pouvait suggérer qu'il se trompait une fois, jamais deux. Une option que tout le monde finissait par prendre.
La Voix était une Intelligence Artificielle. A l'époque des objets interconnectés, c'était devenu si indispensable qu'il était inenvisageable de ne pas en posséder une. C'est elle qui gérait l'ensemble des tâches domestiques avec une précision et une rapidité largement supérieures à celle d'un être humain. Beaucoup la considérait comme leur meilleure amie, car jour après jour, elle devenait irrémédiablement celle qui nous connaissait le mieux.
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BY-PASS Alpha
Science FictionSortir de chez soi a perdu tout intérêt. Les rues sont désertées. Le monde n'est plus que virtuel et il permet à chacun de réaliser ses rêves les plus fous, sans risque ou contrepartie. L'extraordinaire a eu raison des gens ordinaires, qui ne jurent...