2) Emily Turner : Appropriation

161 16 0
                                    

A l'aube, quand le soleil commença à s'infiltrer par les persiennes, Emily émergea de son sommeil. Elle se sentait pâteuse, la voix encore plus rocailleuse que d'habitude. Son corps se redressa directement quand elle sentit le moelleux du lit sous ses fesses qui n'était pas l'habituel planche en bois qu'elle avait dans son appartement. Elle avait tellement fait la fête la veille qu'elle avait encore l'impression d'entendre les basses de la discothèque au fond de ses tympans. Les yeux troubles et à moitié englués d'une paupière à l'autre, elle peinait à trouver son miroir. Il devait pourtant se trouver là, juste devant son lit. Mais en face d'elle il n'y avait rien si-ce-n'est une armoire en bois sombre mal taillée.

- Qu'est que je fou là...

Une masse lourde et foutrement désagréable encerclait son ventre. Même en étant assise sur le lit, elle ne put se mettre debout. Le bras musclé d'un homme dont elle ne voyait que les boucles blondes sortir malicieusement sous un drap en soie bleu-gris la retenait fermement contre lui, le visage enfoui dans son coussin.

Oula, il fallait qu'elle déguerpisse vite fait de ce trou à rat avant de finir écrasé dans un piège grotesque. Pas le temps de faire dans la dentelle, elle envoya valser le bras de son coup d'un soir et prit la première veste qui trainait sur un joli siège en bois éxotique. La jeune femme l'enfilât tête la première et couru vers ce qui lui semblait être un escalier. Elle récupéra un seul de ses escarpins tandis que l'autre devait avoir disparu sous un meuble durant leur ébat plus qu'acharné -bien qu'elle n'en ai aucun souvenir - et quitta la demeure en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.

Maintenant il lui fallait absolument appeler un taxi, depuis un endroit inconnu mais qui ressemblait fortement au quartier chic du centre ville. Ce type devait être fichtrement riche. Ses mains continuaient de tâter ses poches. Elle jura en pensant à son portable gentiment posé sur une table du Rex entre deux seringues et un grand verre de vodka vide. Tant pis, elle se rapprocha de la route principale et fit signe à un taxi qui s'arrêta juste devant elle.

Une fois assise à l'intérieur, elle fit un résumé parsemé de blackout de la nuit dernière. Les souvenirs qui lui restaient ne semblaient pas trop mal. Pas de bêtise ni de bagarre pour un mec miteux. Mince... Mr Song n'allait pas être content. Elle n'avait pas récupéré une seule information sur Mr.Bang et encore moins un scoop publiable, capable de faire redécoller sa carrière... C'était pourtant le moment parfait et le scandale de plus qui lui permettrait de s'élever et de faire redescendre ce type arrogant et plein aux as de son pied d'estale en or. En plus de ça, vu l'heure affichée sur le tableau de bord de la voiture, elle était déjà en retard pour le taf.

- Fait suer. Jura-t-elle en se massant les pieds.

- Ah Emily enfin vous voilà !

Le corps filiforme de son supérieur Monsieur Song arrivait à grand pas à peine eut-elle passé les portes de l'open space. Il l'a regarda de haut en bas en levant un sourcil désapprobateur.

Qu'est ce que c'est que cette tenue ?

Il pouvait parler avec ses chemises à carreaux et ses blazer à épaulettes rectangulaires.

Passons... Je viens de recevoir l'essai de votre article ce matin, il est excellent ! Vous voyez quand vous voulez ! Si on publie cette petite merveille demain matin, je peux vous garantir que vous l'aurez cette place de secrétaire de rédaction !

Il se frotta les mains en oubliant bien vite sa mini-jupe inchangée de la veille et son énorme veste d'homme.

- Mon article ? ... Quel article ?

Elle le regardait avec de grands yeux et se ravisa directement en entendant la fin de sa phrase. "Secrétaire de rédaction". Mais bien sûr que cet article sorti de nul part était le sien. Et plutôt deux fois qu'une !

Oh mais oui... L'article de ce matin... Celui que je vous ai envoyé sans faute à la première heure ! Je savais qu'il vous plairait !

Elle avait absolument aucune idée de quel article Monsieur Song parlait mais elle fit semblant devant tout le reste de ses collègues. Son supérieur lui parla vite fait d'un représentant de la justice qui allait venir et elle partit rejoindre son bureau en saluant quelqu'un de ses collègues qui avaient vu toute la scène depuis le début.

- Emily Turner, vingt-huit ans, devient secrétaire de rédaction en seulement deux ans dans la plus grande rédaction. Lui-murmure Victoria, sa voisine et maintenant amie de boulot.

- Arrêtes de dire des sottises, même si elles me plaisent beaucoup.

Sourit la jeune journaliste qui ne put s'empêcher de laisser apparaître ses dents tellement l'idée lui faisait plaisir. L'écriture, les ragots, les nouvelles croustillantes c'était toute sa vie. Le journalisme était une profession toute tracée dès qu'elle avait su tenir un stylo. A l'école elle parlait déjà de grande maison d'édition et de journal télévisé. Un jour elle avait rêvé de ce job et maintenant elle pouvait le réaliser.

La journée avait commencé plutôt mal mais voilà qu'elle prenait un tournant qu'elle apprécie tout particulièrement. Monsieur Song avait fini de lui casser les pieds, ce texte venu du ciel lui avait fermé son clapet et maintenant elle allait pouvoir décuver tranquillement en faisant un peu de rangement sur son bureau.

Elle tria les articles et journaux qui parlaient tous de Christopher Bang, les mêmes qui s'étaient entassé en plusieurs piles dégringolantes au moindre coup de vent. Ils partirent rejoindre un autre tas qui attendait déjà bien sagement au fond de sa corbeille. Jamais elle n'avouerait que la nuit dernière était sa dernière chance pour trouver quelque chose sur lui. Chose qu'elle avait minablement raté en s'enfilant beaucoup trop de vodka citron pour rester professionnelle et consciente pour finir dans le lit d'un inconnu.

Ensuite elle alla rincé un vieux mug The Office encore rempli d'une couche séchée de café et s'enquilla deux madeleines dans le coin de la bouche pour être sûr de tenir la matinée. En revenant s'asseoir, Victoria lui demanda plusieurs fois le contenu de sa pépite, le fameux scoop dont tout le monde parlait depuis qu'elle était arrivée.

- Un truc sur... Sur une infidélité ou quelque chose du style je suppose. Répondit-elle en évitant la question.

- Tu supposes ?

- Non. Je sais...?

Emily mit fin à la conversation en lui souriant faussement ce qui installa un moment de gêne que son amie fuyait comme la peste. Peut-importe, elle allait demander un jour de congé et s'enfuir s'enfermer dans son appartement jusqu'au lendemain, jour de consécration. L'autre vieillard ne pouvait pas lui refuser après toutes les heures sups qu'elle avait faites cette saison, il devrait presque lui rendre une année de sa vie.

En passant les portes automatiques du bureau, elle se fit alpaguer par un homme qui dérapa sur une grosse moto bleu, un livreur qui lui donna un paquet et s'éloigna en ne précisant aucunement d'où il provenait ni qui l'avait envoyé. Elle réfléchi et se dit que si c'était un informateur qui venait faire son rapport mensuel, il ne se serait pas non plus déclaré.

En rentrant à l'appart, elle le posa sur la table de la cuisine et partit se doucher pour espérer enlever l'odeur persistante d'alcool mélangée à de la sueur qui la suivait partout. Pas étonnant que Mr. Song l'ai regardé comme un clochard le jour d'une maraude. Mais c'était ce qu'il fallait faire pour être un bon journaliste, sa vie n'était qu'une bonne bouillie de ce qu'on lui avait appris à l'école, appliqué selon ses propres règles. Prendre des risques, oublier l'hygiène plusieurs jours quand on est en poursuite de news et ne jamais, au grand jamais avoir d'amour-propre.

Voilà les trois grands piliers pour survivre dans le monde de l'information.

Une fois propre et lavée de toutes traces de drogues, elle ouvrit le paquet et retrouva son téléphone entouré d'un ruban rouge. Dieu merci il n'avait rien. Quelqu'un avait dû le retrouver et le lui envoyer - dans un paquet rempli de petites confettis rondes - pour faire sa bonne action de la journée.

- Bizarre. Se dit-elle mais elle ne réfléchit pas plus et remercia le bon dieu une deuxième fois pour être sûr qu'il l'entende. Après tout, demain ne dépendait que de son bon vouloir...

Rédemption [Christopher Bang]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant