Chapitre 18

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Derek se considérait comme un être droit et raisonnable aux valeurs bien définies. Prendre soin de ses proches en était une. Son invité hyperactif s'y était d'ailleurs fait une place malgré lui... Par la force des choses. A côté de cela, Derek avait à cœur de faire les choses correctement et de le protéger en cas de besoin.

Mais le mater n'était ni une obligation, ni une valeur en elle-même.

Derek n'irait pas se voiler la face en se disant que Stiles l'avait cherché, notamment parce que ce n'était absolument pas le cas. Si le loup-garou se savait têtu, il n'était pas de mauvaise foi – pas toujours –, du moins pas concernant ce sujet-là. Oui, peut-être que la phrase que Stiles avait lancée au petit-déjeuner lui avait fait un certain effet – pour une raison qu'il ne comprenait pas le moins du monde ! – mais Derek savait qu'il aurait pu ne pas réagir, ne pas laisser les mots l'atteindre. D'ailleurs, pourquoi cela avait-il été le cas ? En toute logique, Derek aurait dû mettre ça sur le compte du sexe, le sien n'ayant absolument rien tâté depuis des mois – sa main mise à part. Pour autant, il savait que ce n'était pas une raison et se savait assez intelligent pour faire la différence entre un manque de sexe et... Autre chose.

Le problème était donc ailleurs.

En fait, Derek ne l'avait pas maté à proprement parler. Il avait simplement laissé ses yeux se balader sur son corps alors qu'il mettait la table à midi. Bien sûr, l'ancien alpha avait masqué son trouble et mangé face à lui sans aucun problème. Le seul point positif dans cette histoire ? Sa fierté du rez-de-chaussée était restée au repos. Encore heureux, se dit Derek. Et en même temps pas si évident que cela. « Quand tu es collé à un radiateur et que ton radiateur s'en va, tu te rends compte qu'il fait froid. » C'était une phrase si anodine, si stupide ! Alors pourquoi ressentait-il une bouffée de chaleur chaque fois qu'il y pensait ? Pourquoi repensait-il à leur configuration de la nuit passée ? S'ils avaient dormi ensemble, c'était uniquement par la force des choses, parce que Stiles... Sa présence le rassurait, lui avait-il dit. Derek, en parfait gentleman, lui avait proposé de dormir avec lui juste... Pour faire en sorte qu'il se repose sans inquiétude. D'un autre côté, il avait eu peur de le laisser seul, en proie à ses démons si récents. L'air de rien, son évanouissement dans la cuisine continuait de le hanter, sa crise hallucinatoire aussi.

Mais cela n'avait aucun rapport avec la manière dont il l'avait regardé.

Encore moins avec la façon dont il détaillait le jeune homme à l'heure actuelle.

Stiles était étendu sur le canapé, dos à lui. Plongé dans un sommeil profond, il n'imaginait pas un seul instant être la source de tels questionnements chez Derek, ni même que sa pauvre phrase l'avait impacté à ce point-là. Elle avait pourtant tout d'innocent et ne sous-entendait rien de plus que ce qu'elle laissait clairement entendre : Stiles, au départ de Derek, avait eu froid. Ce qu'il n'avait toutefois pas dit et que le concerné ne pouvait pas deviner, c'était qu'il avait senti son absence... Et qu'elle lui avait manqué.

Derek s'efforça de détourner les yeux des courbes discrètes, des cheveux en bataille. Du corps longiligne endormi, du bout de peau de hanche laissé à l'air libre par le t-shirt à manches longues un peu relevé. Puisque Stiles occupait le canapé, Derek choisit de s'installer sur le fauteuil qui se trouvait juste à côté. Qu'importent le tournant que prenaient ses pensées, il ne comptait pas déroger à la règle qu'il s'était fixée : ne plus laisser Stiles seul tant qu'il n'était pas certain d'être assez en forme pour que ses sens surnaturels fonctionnent correctement – et en permanence. Si cette nuit avait été agréable, elle s'était avérée bien trop courte – et il lui en faudrait bien d'autres s'il voulait être d'attaque, prêt à agir n'importe quand. Car il était hors de question que Derek revive la peur qu'il lui avait faite. Enfin, il espérait que Stiles ne serait en proie à aucune autre crise hallucinatoire – ça, ça dépassait toute pensée déplacée. Disons que son désir de le protéger était actuellement plus fort que tout. Le reste, n'avait aucune importance et de toute façon, Derek ne laisserait pas de pauvres pensées l'affecter plus que nécessaire. C'était comme tout, ça finirait par passer. Mais pour lui, ça restait déplacé.

Encore une fois, Stiles n'avait objectivement rien fait pour mettre Derek en émoi de cette façon. Et même actuellement, il s'était simplement allongé pour somnoler, se reposer un peu d'une part parce qu'il n'avait rien de mieux à faire, d'autre part parce que sa courte nuit alourdissait chacun de ses mouvements. Derek avait raison, il aurait pu dormir davantage – il en avait besoin. Et il espérait sincèrement que les prochains jours et nuits seraient plus propice au repos – pour tous les deux.

Ainsi, Derek choisit de mettre son étrange et moi sur le coup de la fatigue, qui devait titiller ses envies et instincts rendus plus sensibles par son manque de sommeil évident. De fait, il explora les différentes applications et fonctionnalités de son téléphone portable, dont l'obtention restait récente et par conséquent, nouvelle pour lui. Derek n'était pas homme à courir après la technologie et vivre sans cellulaire lui allait très bien... Lorsqu'il était seul. Ainsi flanqué d'une meute composée en grande majorité de lycéens avec son oncle et un chasseur dans le lot, Derek avait dû finir par se rendre à l'évidence : il fallait qu'il se mette à la page, ne serait-ce que pour protéger ces idiots sans cervelle.

En mettant la priorité sur celui qui se reposait sur son canapé et qui, à la différence des autres, était pourvu d'un cerveau, mais sans réel instinct de survie, une absence parsemée de quelques pulsions suicidaires. Si elles lui semblaient endormies pour le moment, Derek ne les oubliait pas.

A vrai dire, elles éteignirent les braises tout juste allumées. Stiles aurait beau lui promettre encore et encore qu'il ne songeait plus à mettre fin à ses jours, Derek restait d'avis le fait qu'il n'était pas à l'abri d'une rechute. D'ailleurs, il n'avait pas continué la lecture des deux carnets de sa mère et si l'ancien alpha ne la lui interdirait pas s'il décidait de la reprendre, néanmoins... Nul doute qu'il serait sous étroite surveillance. Derek avait du mal à savoir s'il devait protéger Stiles des mots de Claudia ou bien lui laisser les affronter, à la manière d'une thérapie d'attaque. Disons qu'il connaissait l'humain, mais pas suffisamment pour prévoir son éventuelle réaction si cela venait à arriver. La preuve en était qu'il ne l'aurait jamais cru capable de diriger le canon de l'arme de service de son père sur sa propre tempe. Le souvenir, encore bien trop clair dans sa tête, le fit violemment frissonner.

Si Stiles avait réussi à se préparer aussi froidement à mourir une fois, il était capable de recommencer.

Derek se mordit la lèvre inférieure. Il rangea son téléphone dans sa poche et se leva, pas encore complètement conscient de ce qu'il allait faire. Disons que repenser à cette histoire faisait sans arrêt renaître en lui cette espèce de bouffée de protection qu'il laissait toujours s'exprimer plus ou moins librement et ce, sans réfléchir. Elle lui faisait parfois faire des choses stupides, mais jamais dangereuses ou réellement immorales.

Néanmoins, il trouva, après coup, que déposer Stiles dans son lit n'était pas forcément utile, pas non plus complètement sans arrière-pensée. Le pire dans tout ça ? Derek eut soudainement peur de ce qui lui traversa l'esprit, alors qu'il couvrait doucement l'hyperactif, dont il avait apprécié la chaleur et le contact, lorsqu'il le portait.

Tout compte fait, le surveiller à distance n'était réellement pas une mauvaise idée, parce que les braises fraîchement éteintes commençaient déjà à se rallumer. En descendant, Derek se dit qu'au moins, Stiles dormirait bien. Le loup considérait sa chambre comme une sorte de havre de paix, un endroit dans lequel il s'était toujours bien senti... Et l'hyperactif aussi, puisqu'il y était allé juste après la réunion de meute, par instinct. Si Derek ne s'expliquait toujours pas ce phénomène, il appréciait néanmoins l'idée.

Enfin, il ne fallait toutefois pas qu'il s'y fasse, conscient que son côté perturbé pourrait presque apprécier cette idée.

Et au vu de la façon dont un rien le mettait en émoi, ce n'était pas forcément une bonne chose.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant