Chapitre 21

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Stiles devait avouer qu'avoir son petit plateau repas et manger devant un bon fils n'était pas désagréable. Son cerveau, doublement occupé et par la pellicule, et par la nourriture, laissait sa conscience se reposer un peu. Autant dire qu'il appréciait et que pour la première fois depuis un moment, il n'avait plus l'impression que la lourdeur de la mort pesait sur ses épaules. S'il savait pertinemment que ce sentiment morbide ne disparaîtrait pas tout de suite, le jeune homme profitait sans vergogne de cette tranquillité tant espérée... Que la présence de Derek permettait de faire croître. C'était dingue ce que Stiles se sentait en sécurité, à ses côtés. Lui aussi, il avait son plateau sur les genoux et profitait du film sans jamais dire un mot. Commenter, ce n'était pas son style – celui de Stiles, si. Mais il gardait également le silence, conscient qu'il n'avait pas envie de parler, encore moins de se forcer pour « respecter » sa propre personnalité. Disons qu'elle en avait pris un coup et... Que Stiles était en quelque sorte perdu, qu'il avait du mal à s'aligner sur ses pensées habituelles. Alors oui, il profitait de cette espèce de début de bien-être qu'il ressentait.

Autant dire que les regards qu'il échangea avec Derek de temps à autres ne firent rien de plus que mettre ses angoisses au placard. Le temps d'un repas, d'un film. Le temps d'un moment dont le calme était foutrement apaisant. Ainsi, lorsqu'il eut terminé de manger, Stiles déposa le plateau sur la table basse et s'installa un peu plus confortablement... Sans se rendre compte qu'il s'était un peu décalé, qu'il était désormais un peu plus proche de Derek, que celui-ci... Pourrait aisément passer un bras autour de lui, s'il le voulait. Mais Stiles, tout concentré dans le film qu'il l'était, ne le sentit pas le faire. Par contre, il finit par pauser de lui-même sa tête sur l'épaule de l'ancien alpha... Parce qu'elle était lourde. Il était très facile pour lui de se sentir fatigué, en ce moment. C'était d'ailleurs tel qu'il finit par lutter pour garder les yeux ouverts : il avait besoin d'aller jusqu'au bout du film. Besoin de ne pas penser à autre chose.

Et pourtant, graduellement, son attention se décalait... Se fixait sur ce qu'il avait à cœur de mettre de côté.

Alors peut-être qu'il se rapprocha davantage de Derek, par un instinct dont le jugement lui échappait complètement. Mais il s'efforça de se concentrer de se concentrer sur les images qui coloraient l'écran de l'immense télévision du salon, que l'ancien alpha s'était offert quelques mois auparavant. S'il n'était pas un grand fan de technologie en général, il avait fini par céder pour une raison fort simple : à chaque soirée meute, Stiles emmenait un vidéo-rétroprojecteur. Chaque fois, l'installation était titanesque et il leur arrivait toujours des galères, sans compter le nombre de fils et... Du bazar que cela mettait dans son salon. C'était là que Derek avait compris qu'une télévision lui épargnerait bien des soucis – et puis à force, il s'y était habitué. Il aimait bien, finalement.

Mais ce qu'il commençait sérieusement à bien apprécier aussi, c'était cette présence... Qui ne lui déplaisait que concernant un seul point : sa discrétion. S'il connaissait l'état général de Stiles, Derek devait toutefois avouer que sa folie naturelle lui manquait. A elle aussi, il s'était habitué. Néanmoins, ses parts louve et humaine s'étaient mises d'accord sur l'idée qu'il ne fallait le presser en rien. Stiles redeviendrait celui qu'il était une fois qu'un peu de temps serait passé. Enfin ça, c'était ce que Derek se disait... Tout en sachant que plus rien ne serait réellement comme avant. Les prochains jours, semaines, mois le guériraient, oui. Mais la découverte de ces deux maudits carnets avait brisé quelque chose en Stiles... Quelque chose qui ne se réparerait peut-être jamais, d'autant plus que l'humain lui-même mettrait du temps à se pardonner sa propre tentative de suicide. Elle aussi, elle l'avait traumatisé. D'aucuns diraient que c'était son choix sur le moment, qu'il fallait en assumer les conséquences. D'autres, ceux qui avaient déjà eu à affronter des pensées pareilles, pourraient comprendre les difficultés qui en résultaient... Comprendre également que rien n'était aussi simple que de pauvres ignorants pourraient l'imaginer.

Derek, lui, pouvait se mettre à sa place. Et c'était exactement pour cette raison qu'il mettait certains ressentis étranges de côté. Sa priorité ? Montrer à Stiles qu'il avait fait le bon choix, que combattre ses pulsions suicidaires ne serait jamais vain. Alors dans un sens, il était heureux que l'hyperactif ait fini par lui confier qu'il était désormais complètement d'accord quant au fait de rester au loft un moment et qu'il n'avait d'ailleurs pas envie d'en partir. Bien sûr, il faudrait qu'il retourne chez lui et qu'il reprenne les cours d'ici peu mais ça, c'était une autre histoire. En tout cas, Derek ne le laisserait pas faire tant qu'il n'était pas certain que tout irait bien, que ses démons ne le rattraperaient pas.

Lorsque vint la fin du film, il était déjà tard. D'ailleurs, Stiles avait manqué de s'endormir à plusieurs reprises sur l'épaule de Derek qui, bien sûr, ne lui avait rien dit à ce sujet. Si cette position gênait moins Stiles que l'idée seule de le déranger, il lui fut reconnaissant pour son silence quant à ce fait. Néanmoins, il profita du générique de fin de la pellicule pour se redresser et s'étirer – son corps tout courbaturé par l'immobilité dans une seule position en avait besoin. Il lui fit également savoir qu'il allait se laver les dents. Pour une raison qui lui échappait – peu de choses semblaient avoir de sens pour lui en ce moment –, il ressentait le besoin de l'informer des moindres de ses faits et gestes lorsqu'il devait sortir de son champ de vision. C'était comme s'il avait perdu toute confiance en lui et chacun des moments qu'il passait seul lui faisait peur. Pourtant, il ne disait rien de cela à Derek, ou celui-ci finirait par le voir comme un impotent. Or, Stiles voulait lui montrer qu'il changeait, qu'il... Faisait tout ce qui était en son pouvoir pour que ses maigres progrès aient une importance.

C'est ainsi qu'il se dirigea vers la salle de bain d'un pas un peu hésitant. Stiles regretta un peu que le film se soit fini : sa conscience quelque peu torturée avait totalement repris ses droits. Ce n'était pas pour autant qu'il allait la laisser gagner sans se battre. Stiles savait qu'il devait apprendre à vivre avec ce qu'il avait découvert. Ne disait pas que ce qui ne tuait pas rendait plus fort ? Alors il souffla un bon coup et s'empara, une fois dans la salle d'eau, de sa brosse à dents et de son dentifrice. Mais avant qu'il ne puisse porter la première recouverte du deuxième à sa bouche... Il releva naturellement la tête vers le miroir, histoire de voir quelle tête il avait. C'était une vieille habitude, quelque chose qu'il faisait chaque fois qu'il allait mal : vérifier de quoi il avait l'air. Sauf qu'il se figea si soudainement qu'il en lâcha sa brosse à dents. Dans le reflet que lui renvoyait le miroir, elle avait ses mains posées sur ses épaules, les ongles de ses doigts s'enfonçaient dans son t-shirt, dans sa peau. La sienne était d'une pâleur cadavérique mais de son regard ébène semblait émaner la flamme d'une vie pas véritablement terminée. Et elle souriait.

Son sourire s'élargit davantage au fur et à mesure qu'elle voyait le visage de son fils blêmir.

A la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant