Jaehae Peak ( 재해 Peak )

Seesaw

⛺⛺⛺

Namjoon ne trouvait pas toujours les mots appropriés au bon moment. 

Plus jeune, lorsqu’il se faisait malmener par des camarades de classe, il passait ensuite des heures, le soir, allongé dans son lit étroitement bordé par sa mère, à se refaire la scène et à tenter des répliques. «J’aurais dû dire ça ! » La riposte était de coutume bien trouvée, la tirade cinglante, l’objection caustique, mais il était toujours trop tard. Namjoon avait toujours été un homme de lenteur. Tout ce qui le concernait prenait un temps infini à mûrir, du moins à ses yeux.

Ainsi, alors que Yoongi l’embrassait comme il n’avait jamais osé en rêver, il paniqua. Il voulait dire : «Tu es sûr ? Tu ne trompes pas de personne ? C’est bien moi que tu veux embrasser ? Ne te joue pas de moi. Je suis en train de tomber follement amoureux de toi. » Mais tout ce qui vint fut ceci : 

— Arrête, c’est pas drôle… 

Namjoon se leva, attrapa son sac, et rejoignit le sentier à grandes enjambées. Yoongi ne comprit pas tout de suite pourquoi cela l’amusa. Il réaliserait plus tard que le «Arrête» de Namjoon sonnait comme un «Ne me laisse pas partir. Retiens-moi.» Il ne se leva pas tout de suite pour le rattraper. Il se contenta de sourire en regardant s’éloigner celui qui l’avait apprivoisé avec sa pureté enfantine, son entièreté ingénue, son affabilité spontanée.

— Tu te carapates dans la mauvaise direction ! finit-il par l’apostropher.

Namjoon marqua un arrêt, hésita à se retourner, commença à faire demi tour en évitant soigneusement de regarder Yoongi. Ce dernier attendit de le voir passer d’un pas pressé dans l’autre sens avant de se décider à le rattraper, un sourire malicieux sur les lèvres. Alors qu’il était à sa hauteur, il ne résista pas à l’envie de le taquiner un peu plus.

— C’est dommage… j’aurais bien recommencé ! dit Yoongi en lui jetant un regard amusé du coin de l'œil. 

Namjoon pila. S’il était, la plupart du temps, sensible et perspicace, lorsque les sentiments entraient en jeu, il pouvait perdre toute intuition. Les émotions le submergèrent malgré lui.

— Arrête, vraiment, ne put-il que dire alors qu’il mourait d’envie que Yoongi le rassure, le prenne dans ses bras et lui tapote gentiment le dos.

Il reprit de plus belle son ascension. Yoongi le rejoint de nouveau, renonçant à l’asticoter, et le prit par la main.

— Joon… Tout va bien.

— Non, moi, j’étais, enfin je suis, bafouilla Namjoon. Et puis, «BIM !», tu rentres dans ma vie comme ça, avec ton appareil photo, tes godillots, ta drôle de manière de parler et ta gueule d’ange ! Et voilà, je réalise que, quand je feuilletais tes bouquins, écoutais tes podcasts, rêvais de toi, je ne ressentais pas la moitié de tout ce que tu peux provoques en moi, ne serait-ce qu’en étant toi… 

— Joon, répéta Yoongi.

— Non, non… Et là, là, tu vas me dire que c’était rien, même pas vraiment un baiser, que je m’emballe… tu vas me remettre à ma place d’admirateur, ami d’un ami, un peu bizarre…

— D’accord ! Je t’accorde juste le côté bizarre. Mais bon, si tu veux plus que je t’ approche… tenta Yoongi, le tout pour le tout, reprenant le chemin.

Interdit, Namjoon ne parvint pas à réfléchir, à réaliser, ni même à bouger.

— Reste planté là si tu veux, lui dit Yoongi sans se retourner, mais j’ai vu des empreintes d’ours sur la berge…

L’évocation de l’ursidé eut l’effet escompté. Il se remit en route rapidement. Ils marchèrent alors d’un bon pas plus d’une heure durant sans que Namjoon ne pipe mot. C’était inhabituel et Yoongi se surprit à souhaiter qu’il se remette à babiller. Peut-être pouvait-il sortir de sa coquille avec ce grand tendre ? Cela dit, il ne se sentait pas l’habileté de Namjoon avec les mots, ni même le courage d’affronter totalement ses propres sentiments. Parfois, le simple fait de clamer haut et fort qu’on aime quelque chose ou quelqu’un – et surtout d’entendre quelqu’un approuver – suffit pour s’ôter un poids de la poitrine. Toutefois, Yoongi se demandait s’il n’était pas plus en sécurité à rester encore un peu à la surface des choses et de juste profiter en toute insouciance. Cela faisait si longtemps…